TAD-11.07.1995

Thème(s)
Actions récusoires
Domaine(s)
Immunités
Mot(s) clef(s)
Agression dans un bus transportant des élèves  | Recours contre élève  | Accident provoqué intentionnellement  | Recevabilité  | Conditions  | Minorité

Référence

  • TAD-11.07.1995
  • N° 88/95
  • Numéro du rôle: 8163
  • Aff. N. c/ H. et AAA
  • U199151889

Base légale

  • Art0115-CSS
  • Art0117-CSS

Sommaire

Les articles 92 et ss. du C.A.S. instituent au profit des membres de l'ASSURANCE-ACCIDENTS un système d'indemnisation forfaitaire et d'ordre public des accidents du travail et de trajet, qui déroge au droit commun et qui en principe ne peut pas se cumuler avec l'indemnisation selon le droit commun.

Toutefois, selon l'art. 115 C.A.S., le droit commun retrouve son emprise lorsque l'accident a été provoqué intentionnellement et que l'auteur de l'accident a été condamné pénalement.

Dans ce cas, l'action des assurés et ayants-droit est cependant restreinte au montant des dommages qui n'est pas couvert par l'assurance-accidents.

H. sera considéré comme ayant intentionnellement provoqué l'accident et que partant, l'action en indemnisation exercée contre lui sera déclarée recevable dans la mesure où elle vise le montant des dommages qui n'est pas couvert par l'ASSURANCE-ACCIDENTS.

Il en résulte encore que l'action personnelle des époux N., agissant en indemnisation de leur dommage par ricochet et qui d'après la jurisprudence, sont à considérer comme des ayants-droit au sens de l'art, 115 C.A.S., sont recevables à agir en indemnisation de leur préjudice moral.

Corps

N° 88/95

Audience publique du mardi, onze juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
Numéro du rôle: 8163

Composition

Messieurs Georges KILL, Président du Tribunal,
Gilbert HOFFMANN, Juge des tutelles;
Mesdames Marie-Thérèse SCHMITZ, Juge;
Marie-Paule BISDORFF, Attachée déléguée;
Monsieur Mario WIESEN, Greffier assumé.

Entre

1. le sieur N., ouvrier, et son épouse,
2. la dame M., ouvrière,
3. le sieur N.,
les trois demeurant ensemble à ...

parties demanderesses aux termes d'un exploit de l'huissier de justice Alex Mertzig de Diekirch en date du 17 mai 1993 et d'un exploit de l'huissier de justice Georges Nickts de Luxembourg en date du 19 mai 1993,

comparant par Maître Lony Thillen, avocat inscrit à la liste I du Barreau de Diekirch;

et:

1. le sieur H., étudiant, demeurant à ...,

partie défenderesse aux fins du prédit exploit Mertzig,

comparant par Maître Jean-Marie Erpelding, avocat inscrit à la liste I du Barreau de Diekirch,

2. l'ASSOCIATION D'ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS, SECTION INDUSTRIELLE, établie à L-2976 LUXEMBOURG, 125, route d'Esch,
partie défenderesse aux fins du prédit exploit Nickts,

comparant par Maître Alain Bingen, avocat inscrit à la liste I du Barreau de Diekirch

LE TRIBUNAL

Le 7 juin 1991, au cours du transport d'élèves par bus au Lycée Technique d'Ettelbruck, le mineur d'âge H., né le ..., avait donné au mineur Fernando N., né le ..., des coups de poing au visage en sorte que la tête de celui-ci fut projetée contre le vitrage et qu'il subit de ce fait, outre une commotion cérébrale, une fracture compliquée de l'orbite de l'oeil gauche qui nécessitait un transfert à la Clinique Universitaire à Hombourg et lui laissa des séquelles irréparables.

Par acte d'huissier séparé du 17 et 19 mai 1993, les époux N. et N., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur fils mineur Fernando N., ont fait donner assignation à

1. H., devenu entretemps majeur, et
2. l'ASSOCIATION D'ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS, SECTION INDUSTRIELLE, ci-après ASSURANCE-ACCIDENTS, à l'effet:

de voir dire H. intégralement responsable du dommage subi par N. sur base des art. 1382 et 1383 c.civ., dommage comprenant les frais médicaux, les frais de déplacement, les incapacités temporaires, totale et partielle, l'incapacité permanente partielle, le dommage esthétique et le dommage moral pour douleurs endurées,

partant, de voir condamner H. à l'indemniser de l'intégralité du préjudice dont il a été victime, évalué sans nul préjudice à 1.000.000.- francs, avec les intérêts légaux du jour des faits,

de voir ordonner une expertise pour déterminer l'étendue du préjudice,

de voir allouer à N. une provision de 200.000.-,

de voir condamner H. à payer aux demandeurs pris en leur nom personnel une indemnité pour dommage moral de chaque fois 30.000.- francs,

d'entendre déclarer le jugement à intervenir commun à l'ASSURANCE-ACCIDENTS.

N., devenu majeur en cours d'instance, a régulièrement repris l'action engagée en son nom par ses mère et père.

La partie H. oppose l'irrecevabilité de la demande sur la base de l'art. 115 C.A.S., qui, dans certaines conditions, fait défense à la personne assurée auprès de l'ASSURANCE-ACCIDENTS d'agir judiciairement en dommages-intérêts contre toute autre personne membre du même organisme d'assurance, à moins qu'un jugement pénal n'ait déclaré le défendeur coupable d'avoir intentionnellement provoqué l'accident;

à l'appui de ce moyen, elle expose que tant la partie demanderesse que défenderesse sont toutes deux assurées et membres de l'ASSURANCE ACCIDENTS qui, d'ailleurs, a pris en charge le sinistre, que le Ministère Publique, section jeunesse, a classé sans suites le procès-verbal afférent auxdits faits et que par conséquent, aucun jugement pénal n'est intervenu; elle conteste encore le caractère intentionnel des coups et blessures.

La partie demanderesse conclut à écarter le moyen d'irrecevabilité alors qu'en raison de la minorité du prévenu, elle était tributaire de la décision du Parquet et qu'elle ne pouvait pas à son compte exercer l'action publique.

L'ASSURANCE-ACCIDENTS conclut qu'acte lui soit donné qu'elle exerce son recours contre H. jusqu'à concurrence du montant de 31.702.- francs.

Cela exposé: Attendu que selon les dispositions de l'art. 1er du règlement Grand-Ducal du 30 mai 1974 portant extension de l'assurance obligatoire contre les accidents aux activités préscolaires, péripréscolaires, scolaires, périscolaires, universitaires et périuniversitaires, l'assurance obligatoire contre les accidents est étendue aux activités scolaires etc. organisées par l'Etat, les communes et les chambres professionnelles ou agréées par l'Etat, sur le territoire du Luxembourg, le tout conformément aux dispositions du livre II du C.A.S., dont l'art. 115 du C.A.S.;

que l'art. 4 du même règlement prévoit que "les dispositions réglementaires régissant les accidents de trajet sont applicables aux accidents survenus sur le parcours effectué par les assurés pour se rendre de leur demeure, de leur maison de pension habituelle ou de leur lieu de travail au lieu des activités visées par l'alinéa 1er de l'article 1er du présent règlement et pour en revenir".

En vertu de l'art. 92 C.A.S. "est considéré comme un fait du travail le parcours effectué pour se rendre au travail et en revenir";

que la notion d'accident du trajet au sens de l'article 92 C.A.S. a été plus amplement précisée par les règlements d'administration publique du 22 août 1936, 27 octobre 1952 et 28 mars 1955;

attendu qu'il suit de ces dispositions qu'il échet d'appliquer au présent litige la législation sur l'assurance-accidents;

attendu que les art. 92 et ss. du C.A.S. instituent au profit des membres de l'ASSURANCE-ACCIDENTS un système d'indemnisation forfaitaire et d'ordre public des accidents du travail et de trajet, qui déroge au droit commun et qui en principe ne peut pas se cumuler avec l'indemnisation selon le droit commun;

que toutefois, selon l'art. 115 C.A.S., le droit commun retrouve son emprise lorsque l'accident a été provoqué intentionnellement et que l'auteur de l'accident a été condamné pénalement;

que, dans ce cas, l'action des assurés et ayants-droit est cependant restreinte au montant des dommages qui n'est pas couvert par l'assurance-accidents;

attendu que l'art. 117 du même code règle la situation "lorsque la mort ou tout autre motif inhérent à la personne du prévenu empêche l'intervention d'un jugement pénal";

que dans ce cas, "la preuve des faits délictueux ainsi que leur gravité pénale, peuvent être établis devant le juge civil, siégeant en matière civile";

attendu qu'en l'espèce, H. était mineur d'âge au moment des faits délictueux;

qu'en vertu de la législation sur la protection de la jeunesse qui prohibe l'action civile devant le tribunal de la jeunesse, la victime n'était pas recevable à mettre incidemment en mouvement l'action publique devant le tribunal de la jeunesse;

qu'ainsi, il y a lieu d'admettre qu'un motif inhérent à la personne du prévenu a empêché l'intervention d'un jugement pénal de sorte que le tribunal de ce siège est appelé à statuer sur l'applicabilité de l'art. 115 C.A.S.;

attendu qu'il résulte du procès-verbal n° 76/91 du 11 juin 1991 de la brigade de Gendarmerie de Rédange que N. avait taquiné H. dans le bus scolaire et que ce dernier, pour y couper court, avait donné au premier un ou des coups de poings au visage par lesquels sa tête avait été projetée contre le vitrage;

que ces faits sont visés soit par l'art. 399 C.P., soit par l'art. 400 C.P. selon la gravité des blessures infligées et que le caractère intentionnel du délit est constitué lorsqu'il existe un acte volontaire de violence, alors même que son auteur n'aurait pas voulu le dommage qui en est résulté;

qu'il s'ensuit que H. sera considéré comme ayant intentionnellement provoqué l'accident et que partant, l'action en indemnisation exercée contre lui sera déclarée recevable dans la mesure où elle vise le montant des dommages qui n'est pas couvert par l'ASSURANCE-ACCIDENTS;

qu'il en résulte encore que l'action personnelle des époux N.-M., agissant en indemnisation de leur dommage par ricochet et qui d'après la jurisprudence, sont à considérer comme des ayants-droit au sens de l'art, 115 C.A.S., sont recevables à agir en indemnisation de leur préjudice moral (c.cass. 17.12.1987 P.XXVII, p. 167);

attendu qu'il échet d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer le préjudice subi par N. et ses père et mère.

Attendu que concernant l'octroi d'une provision, le tribunal se dispose pas en l'état du dossier, de renseignements suffisants à la fois sur l'importance des séquelles subies et sur le montant des dommages non couverts par l'assurance-accidents;

que la demande y afférente sera donc rejetée.

Par ces motifs

le tribunal d'arrondissement de DIEKIRCH, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, le Ministère Public entendu,

donne acte à N. qu'il reprend l'action introduite en son nom par ses père et mère N.-M.;

reçoit la demande de N. et celle des époux N.-M. dans la mesure où elles tendent au paiement du montant des dommages qui n'est pas couvert par l'AS SURANCE-ACCIDENTS;

dit fondées en leur principe les actions en indemnisation exercées contre H.;

avant tout autre progrès en cause nomme experts:

1. le docteur Guy VAN DER VEKENE, médecin,
demeurant à L-2227 LUXEMBOURG, 11, av. de la Porte-Neuve
2. Maître Paul WINANDY, avocat,
demeurant à Luxembourg

avec la mission de concilier les parties si faire se peut, sinon, dans un rapport écrit, détaillé et motivé, à déposer au greffe de cette juridiction, de déterminer le préjudice matériel, corporel et moral subi par N., né le ..., ensuite de l'accident du 7 juin 1991, ainsi que le préjudice moral subi par ricochet par les époux N.-M. , compte tenu du montant des dommages qui est couvert par l'ASSURANCE-ACCIDENTS, respectivement le recours à exercer par l'ASSOCIATION D'ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS SECTION INDUSTRIELLE contre l'auteur responsable;

ordonne au défendeur H. de consigner, au plus tard le 14 août 1995, la somme de 40.000.- francs, à titre de provision à valoir sur la rémunération des experts, à la Caisse de Consignation ou à un établissement de crédit à convenir avec l'autre partie au litige, et d'en justifier au greffe du tribunal, sous peine de poursuites de l'instance, selon les dispositions de l'article 325 du code de procédure civile;

charge Monsieur Gilbert HOFFMANN, juge au siège, du contrôle de cette mesure d'instruction;

dit que les experts devront, en toutes circonstances, informer ce magistrat de la date de leurs opérations, de l'état des dites opérations et des difficultés qu'ils pourront rencontrer;

dit que, si leurs honoraires devraient dépasser le montant de la provision versée, ils devront avertir ledit magistrat et ne continuer leurs opérations qu'après consignation d'une provision supplémentaire;

dit que les experts devront déposer leur rapport au greffe du tribunal le 4 janvier 1996 au plus tard;

rejette la demande en obtention d'une provision;

donne acte à l'ASSOCIATION D'ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS, SECTION INDUSTRIELLE, qu'elle exerce son recours contre H. jusqu'à concurrence de 31.702.- (trente-et-un mille sept cent deux) francs;$

déclare le présent jugement commun à l'ASSOCIATION D'ASSURANCE CONTRE LES ACCIDENTS;

fixe l'affaire au rôle général;

condamne H. aux frais et dépens de l'instance.

Ainsi lu en audience publique au Palais de Justice à Diekirch, par nous Georges KILL, président du tribunal d'arrondissement, conseiller honoraire à la cour d'appel, assisté du greffier assumé Mario WIESEN.

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