TAL-10.07.1985

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Recours par parents d'un écolier contre commune  | Irrecevabilité  | Ayant droit de la victime  | Notion  | Conditions  | Recours contre le tiers responsable par l'AAA  | Recevabilité

Référence

  • TAL-10.07.1985
  • N.Rôle 29981

Base légale

  • Art0115-CSS
  • RGD-30.05.1974
  • Art0092-CSS
  • Art0118-CSS
  • Art1382-CCIV
  • Art1384-CCIV
  • Art1384-al03-CCIV
  • Art0024-CONSTIT

Sommaire

Par analogie la législation sur l'assurance accident est applicable aux activités préscolaires et péripréscolaires. Constitue une activité préscolaire normale le fait, pour des enfants fréquentant l'école gardienne de se voir accompagnés par l'institutrice, pendant les heures de classe, sur une pelouse attenant au bâtiment scolaire pour y jouer.

La commune organisant des activités (pré-)scolaires est à considérer comme "employeur" des élèves. En vertu de l'article 115 du CAS l'action dirigée par la personne assurée ou ses ayants-droit contre cet "entrepreneur" est irrecevable.

La question de savoir si la commune est à considérer comme entreprise différente par rapport à l'ouvrier communal impliqué dans l'accident et par rapport à l'élève est sans pertinence. En effet même si on admettait que la personnalité de la commune se dédouble suivant qu'on la considère comme commettant de l'ouvrier et comme "commettant" de l'enfant il s'agit de toute façon d'un travail et d'une activité exécutés en même temps et sur le même lieu, hypothèse dans laquelle le recours est prohibé par l'article 115 du CAS.

L'article 115 exclut du droit d'agir sur base du droit commun non seulement les personnes assurées elles-mêmes, mais également leurs ayants-droit et leurs héritiers. En l'espèce les parents ne sont pas les héritiers de leur fils, celui-ci étant toujours en vie. Concernant les prétentions qu'ils font valoir à titre personnel, en tant que victimes par ricochet du préjudice subi par leur fils, ils ne sont pas non plus à considérer comme ayants-droit de celui-ci. En effet la victime par ricochet n'est pas un ayant-droit de la victime initiale, car le propre de l'ayant-droit consiste à tenir ses droits de son auteur. Or la victime par ricochet ne reçoit pas son droit à réparation de la victime immédiate. L'une et l'autre subissent des dommages distincts qui n'ont pas la même consistance, ne naissent pas toujours simultanément et peuvent coexister. Il s'en suit que l'action des parents en réparation de leur préjudice personnel n'est pas irrecevable.

Corps

LE TRIBUNAL d'arrondissement de et à Luxembourg

Le 13 juillet 1982, vers 11.00 heures, K., institutrice d'école gardienne, pendant les heures de classe accompagna ses élèves, parmi lesquels se trouvait M., sur une plaine de jeux appartenant à la Commune de Roeser. R., ouvrier communal, y était en train de tondre le gazon au moyen d'une tondeuse motorisée. A un certain moment, M., qui jouait près de la tondeuse, glissa et tomba sous la tondeuse. Il fut grièvement blessé par les couteaux de l'engin.

Par exploit d'assignation des dix et onze janvier 1983 et par exploit de réassignation du 16 juin 1983, les époux M. et N., agissant tant en leur qualité d'administrateurs légaux de la personne et des biens de leur fils M. qu'en leur nom personnel, ont fait donner assignation à l'Association d'Assurance contre les Accidents, section industrielle, à K., à R. ainsi qu'à l'administration communale de Roeser à comparaître devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg pour les trois derniers s'entendre déclarer responsables de l'accident du 13 juillet 1982 et s'entendre condamner solidairement sinon in solidum au paiement de la somme de 1.014.005.-francs à titre de dommages intérêts en indemnisation du préjudice matériel et moral subi par M. lors dudit accident, et la première s'entendre déclarer commun le jugement à intervenir.

L'administration communale de Roeser ainsi que K. et R. soulèvent l'irrecevabilité de la demande en invoquant l'article 115 du Code des assurances sociales.

Cet article dispose que les personnes assurées en vertu du code des assurances sociales ne peuvent, en raison de l'accident, agir judiciairement en dommages-intérêts contre l'entrepreneur, ni dans le cas d'un travail connexe ou d'un travail non connexe exécutés en même temps et sur le même lieu, contre tout autre membre de l'association d'assurance contre les accidents ou contre leurs représentants, employés ou ouvriers, à moins qu'un jugement pénal n'ait déclaré les défendeurs coupables d'avoir intentionnellement provoqué l'accident.

Par règlement grand-ducal du 30 mai 1974, l'assurance obligatoire contre les accidents a été étendue aux activités préscolaires, péripréscolaires, scolaires, périscolaires, universitaires et périuniversitaires, organisées par l'Etat, les communes et les chambres professionnelles, ou agréées par l'Etat, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, le tout conformément aux dispositions du Livre II du Code des assurances sociales, dont l'article 115, précité, fait partie.

Les époux M.-N. font plaider l'inapplicabilité de l'article 115 au motif qu'on ne serait pas en présence d'un accident de travail tel qu'il est défini à l'article 92 du Code des Assurances Sociales.

Il est vrai qu'un accident de travail à proprement parler est inconcevable dans le chef d'un enfant fréquentant l'école gardienne.

Cependant le règlement grand-ducal du 30 mai 1974 ayant étendu l'applicabilité de l'assurance-accidents aux activités préscolaires et péripréscolaires, on ne saurait prendre à la lettre le terme d'accident de "travail" sous peine de rendre inapplicable à ces activités la législation sur l'assurance-accidents et vider le règlement grand-ducal du 30 mai 1974 de son contenu. Il faut, pour en respecter la teneur, raisonner par analogie et appliquer la législation sur l'assurance accidents aux activités préscolaires et péripréscolaires.

Les époux M.-N. estiment encore que l'événement allégué, à savoir la blessure de leur fils par une tondeuse à gazon est totalement étranger et incompatible avec son activité préscolaire et comme tel exclusif de l'applicabilité des dispositions du code des assurances sociales.

Ce raisonnement ne saurait trouver l'adhésion du tribunal. En effet, le fait, pour des enfants fréquentant l'école gardienne de se voir accompagnés par l'institutrice, pendant les heures de classe, sur une pelouse attenant au bâtiment scolaire pour y jouer, constitue une activité préscolaire normale.

Les époux M.-N. font valoir ensuite que le règlement grand-ducal du 30 mai 1974 aurait pour but essentiel de faire bénéficier les enfants en âge scolaire d'un régime dérogatoire, plus favorable que le droit commun, mais n'entendrait pas soumettre tout accident quelconque aux dispositions du Code des assurances sociales. Il faudrait limiter son application aux cas d'accidents normaux compris dans le cadre restreint d'une activité préscolaire.

Ce moyen n'est pas fondé. Il n'y a pas d'accidents scolaires normaux et d'accidents scolaires anormaux. Il y a des activités scolaires normales et des activités scolaires qu'on pourrait qualifier d'anormales. Comme il vient d'être dit, le fait, pour des enfants d'une classe préscolaire, de jouer sur une aire de jeux, sous surveillance, est une activité normale qui n'est pas étrangère aux activités d'une école gardienne.

Il suit de ce qui précède que les dispositions du Code des assurances sociales, dont l'article 115, précité, sont applicables en l'espèce.

Les époux M.-N. font valoir ensuite que la commune ne serait pas à considérer comme "l'entrepreneur" au sens de l'article 115 du Code des Assurances Sociales, et que, partant l'action dirigée contre elle serait recevable. Selon eux, ce serait l'Etat qui assumerait ce rôle. Elle entend déduire cela de ce que, d'une part, l'article 23 de la Constitution charge l'Etat "de veiller à ce que tout Luxembourgeois reçoive l'instruction", et que, d'autre part, l'article 3 du règlement grand-ducal du 30 mai 1974 dispose que l'assurance des personnes visées par ledit règlement est à charge de l'Etat.

Le raisonnement des époux M.-N. aboutit à voir dans l'Etat l'unique organisateur des activités scolaires, et va ainsi à l'encontre de l'article 1er du règlement qui dispose que l'assurance-accidents est étendue aux activités scolaires organisées par l'Etat, les communes et les chambres professionnelles. S'il est vrai que l'Etat a, de par la Constitution, l'obligation de veiller à ce que tout Luxembourgeois reçoive l'instruction, il en peut déléguer l'organisation à d'autres personnes de droit public et même de droit privé. L'enseignement préscolaire dans la commune de Roeser est organisé par l'administration communale, même si, pour cette activité comme pour toute activité de la commune, celle-ci se trouve placée sous la tutelle de l'Etat.

De même si les cotisations pour les personnes visées par le règlement grand ducal du 30 mai 1974 sont à charge de l'Etat, on ne saurait en conclure que l'Etat est l'unique "entrepreneur" au sens de l'article 115 du Code des Assurances Sociales, sous peine de violer l'article 1er dudit règlement.

La commune est partant à considérer comme employeur de M..

En ordre subsidiaire les époux M.-N. soutiennent qu'on saurait considérer l'ouvrier communal et l'enfant M. comme faisant partie de la même entreprise, à savoir la commune. Pour le premier, la Commune constituerait une personne morale de droit privé, et pour le second, une personne de droit public. De cette manière, l'ouvrier communal R. serait à considérer comme tiers par rapport à M. et, par extension, la commune serait à considérer également comme entrepreneur distinct et donc comme tiers affilié au même organisme social. De cette sorte il y aurait lieu à application, non de l'article 115, mais de l'article 118 du Code des Assurances sociales en vertu duquel les tiers sont responsables conformément aux principes de droit commun.

La question de savoir si la commune est à considérer comme entreprise différente par rapport à R. et par rapport à M. est sans pertinence.

En effet, même si on admettait que la personnalité de la commune se dédouble suivant qu'on la considère comme commettant de l'ouvrier communal et comme "commettant" de l'enfant, il s'agit de toute façon d'un "travail" non connexe exécuté en même temps et sur le même lieu. Or l'article 115 prohibe également dans ce cas le recours contre d'autres entreprises ou leurs préposés.

On ne saurait, dans ce contexte, arguer, comme entendent le faire les époux M.-N., qu'il ne s'agirait pas de travail non connexe. Il est vrai que M. n'exécutait aucun travail ni a fortiori un travail tendant au même but de production ou au même ouvrage. Il exerçait une activité, et cela sur le même lieu et en même temps que le préposé d'une "autre" entreprise membre de l'assurance-accidents. Il s'agit d'une des hypothèses visées par l'article 115 du Code des Assurances Sociales.

Il s'ensuit que l'action dirigée par les époux M.-N., agissant en leur qualité d'administrateurs légaux de la personne et des biens de leur fils M. contre l'administration communale de Roeser, ainsi que R. et K. est irrecevable, par application de l'article 115 du Code des Assurances Sociales.

En ordre subsidiaire, les époux M.-N. réclament la réparation du préjudice qu'ils ont personnellement subi.

Les défendeurs y résistent en faisant valoir que la disposition de l'article 115 du Code des Assurances Sociales jouerait également à leur encontre.

L'article 115 exclut du droit d'agir sur base du droit commun non seulement les personnes assurées elles-mêmes, mais également leurs ayants-droit et leurs héritiers.

Les époux M.-N. ne sont pas les héritiers de leur fils , celui-ci étant toujours en vie. Concernant les prétentions qu'ils font valoir à titre personnel, en tant que victimes par ricochet du préjudice subi par leur fils, ils ne sont pas non plus à considérer comme ayants-droit de celui-ci. En effet la victime par ricochet n'est pas un ayant-droit de la victime initiale, car le propre de l'ayant droit consiste à tenir ses droits de son auteur. Or, la victime par ricochet ne reçoit pas son droit à réparation de la victime immédiate. L'une et l'autre subissent des dommages distincts qui n'ont pas la même consistance, ne naissent pas toujours simultanément et peuvent coexister (Geneviève VINEY: La reponsablité; L.D.G.J.1982, no.372 in fine, p.399).

Il s'ensuit que l'action des époux M.-N. en réparation de leur préjudice personnel n'est pas irrecevable.

Au fond la demande est justifiée contre K. sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil. En effet, en tant qu'institutrice d'école gardienne, elle avait l'obligation de veiller à ce que les enfants n'approchent pas de trop près la tondeuse à gazon. En omettant de le faire, elle a commis une négligence engageant sa responsabilité quasi-délictuelle.

L'ouvrier communal R. a commis une négligence en ne tenant pas à l'écart les enfants de l'engin manipulé par lui. Il connaissait les dangers auxquels s'exposaient les enfants qui n'avaient pas le discernement nécessaire pour réaliser eux-mêmes ces dangers.

Sa responsabilité est également engagée sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil.

K. et R. étant responsables de l'accident sur base des articles 1382 et 1383 du Code civil, la Commune, qui est leur commettant, en est responsable sur base de l'article 1384, alinéa 3 du même code.

Contrairement aux allégations des défendeurs, le comportement de M. ne constituait pas pour eux une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure. Ce comportement n'était ni imprévisible ni insurmontable. Il n'était ni même fautif sans présenter les caractères de la force majeure, l'enfant M. n'ayant pas atteint, au moment de l'accident, l'âge de la raison.

Il suit de ce qui précède que les trois défendeurs sont responsables in solidum du dommage subi par les époux M.-N. suite à l'accident dont leur fils fut victime le 13 juillet 1982.

Les montants indemnitaires réclamés n'étant pas justifiés par des pièces, il y a lieu d'instituer une expertise.

Il y a lieu de déclarer commun le présent jugement à l'Association d'assurance contre les accidents.

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