TAL-13.05.2005

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Immunités
Mot(s) clef(s)
Recours contre l'employeur  | Action de la victime directe  | Irrecevabilité  | Action des ayants droit  | Recevabilité  | Principe de l'égalité devant la loi

Référence

  • TAL-13.05.2005
  • Numéros 77556 et 77 557 du rôle (jonction)
  • 1. L.,
  • 2. M.
  • c/ K., AAI ,L. SA
  • voir Cour Constitutionnelle arrêt du 28.05.2004
  • n° 20/04
  • U199811891

Base légale

  • Art0115-CSS
  • Art0011-al03-CONSTIT
  • Art0012-CONSTIT
  • Art0016-CONSTIT
  • Art0010B-CONSTIT

Sommaire

L'article 10bis de la Constitution dispose que les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. Le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l'égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu'elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.
La différence de traitement appliquée par l'article 115 du Code des assurances sociales, d'une part, aux personnes visées aux articles 85, 86 et 90 du même code, en ce qu'il prévoit une indemnisation forfaitaire des ces personnes lorsqu'elles sont victimes d'accidents de travail et, d'autre part, aux victimes d'accidents de droit commun, indemnisées selon le droit commun, est rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.
Pour autant qu'il se rapporte aux victimes directes visées par les articles 85, 86 et 90 du Code des assurances sociales, l'article 115 du même code n'est donc pas contraire au principe constitutionnel de l'égalité devant la loi tel que prévu par l'article 10bis de la Constitution.
Notons que la Cour a précisé que les mots de l'article 115 « même s'ils n'ont aucun droit à prestation » ne visent pas les assurés eux-mêmes, mais seulement leurs ayants droit.

L'article 115 du Code des assurances sociales est contraire au principe constitutionnel de l'égalité devant la loi tel que prévu par l'article 10bis de la Constitution dans la mesure où il exclut du recours de droit commun les ayants droit qui n'ont droit à aucune prestation de l'assurance-accidents.

Lla limitation du droit d'agir prévue par l'article 115 du Code des assurances sociales s'explique par une réglementation s'écartant du droit commun basée non plus sur la notion de faute, mais sur celle de risque professionnel et sur une répartition de ce risque entre l'employeur et la victime de l'accident du travail, l'assuré bénéficiant des prestations statutaires de l'Association d'Assurance contre les Accidents même en l'absence de responsabilité dans le chef de l''«auteur de l'accident» et même en cas de faute dans son chef;

Cette limitation permet le fonctionnement même du système d'indemnisation forfaitaire ét automatique et contribue au maintien de la paix sociale dans les entreprises, que ce soit dans les relations entre travailleurs et assimilés ou, le cas échéant, dans les relations entre ces mêmes personnes et leurs employeurs;

Cette différence de traitement est rationnellement justifiée,

La limitation du droit d'agir qui constitue la contribution de l'assuré victime au fonctionnement de ce système d'indemnisation est adéquate;

Corps

Jugement civil no 145/ 05 ( XIe section)

Audience publique du vendredi treize mai deux mille cinq

Numéros 77556 et 77 557 du rôle (jonction)

Composition:

  • Pierre CALMES, vice-président,
  • Marie-Anne MEYERS, juge,
  • Carole BESCH, juge,
  • Alix GOEDERT, greffière.

ENTRE

  1. L., ouvrière, et son époux
  2. M., ouvrier, les deux demeurant ensemble à ...,

demandeurs aux termes d'un exploit de l'huissier de justice Carlos CALVO d'Esch-surAlzette du 26 juin 2002,

comparant par Maître Fernando DIAS SOBRAL, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg

ET

1. la société anonyme K. LUXEMBOURG, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à ..., inscrite au RC de Luxembourg sous le numéro B 46 483, ayant repris l'instance introduite contre la société en commandite simple K. Ltd et Cie., ayant été inscrite au RC de Luxembourg sous le numéro B 46 575,

défenderesse aux fins du prédit exploit CALVO du 26 juin 2002,

comparant par Maître Louis BERNS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

2. l'ASSOCIATION DES ASSURANCES CONTRE LES ACCIDENTS, représentée par son président, établie à L- 2976 Luxembourg, 125, route d'Esch,

défenderesse aux fins du prédit exploit CALVO du 26 juin 2002,

défaillante,

3.la société L. SA, établie et ayant son siège social à ..., représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, inscrite au RC de Luxembourg sous le numéro B 23 555,

défenderesse aux fins du prédit exploit CALVO du 26 juin 2002,

comparant par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

II

ENTRE

1. L., ouvrière, et son époux

2. M., ouvrier, demeurant le deux ensemble à ...,

demandeurs aux termes d'un exploit de l'huissier de justice Carlos CALVO d'Esch-sur Alzette du 17 juillet 2002,

comparant par Maître Fernando DIAS SOBRAL, avocat à la, Cour, demeurant à Luxembourg

ET

la société anonyme K. LUXEMBOURG, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, établie et ayant son siège social à ..., inscrite au RC de Luxembourg sous le numéro B 46 483, ayant repris l'instance introduite contre la société en commandite simple K. Ltd et Cie., ayant été inscrite au RC de Luxembourg sous le numéro B 46 575,

défenderesse aux fins du prédit exploit CALVO du 17 juillet 2002,

comparant par Maître Louis BERNS, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,

LE TRIBUNAL

Ouï les parties L. et M. par l'organe de leur mandataire Maître Fernando Dias Sobral, avocat constitué.

Ouï la partie K. Luxembourg s.a. par l'organe de leur mandataire Maître Louis Berns, avocat constitué.

Ouï la partie L.Exploitation s.a. par l'organe de leur mandataire Maître Fernand Entringer, avocat constitué.

Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction du 2 mars 2005.

Revu le jugement du 30 octobre 2003.

Le tribunal avait sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour Constitutionnelle ait statué à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

1. l'article 115 du code des assurances sociales disposant que certaines personnes « ne , peuvent, en raison de l'accident, agir judiciairement en dommages intérêts », est-il conforme à la Constitution et notamment à ses articles 11 alinéa 3, 12 et 16 ?
2. l'article 115 du code des assurances sociales en excluant « les personnes visées aux articles 85, 86 et 90, (...) même s'ils n'ont aucun droit à prestation, » de la réparation intégrale selon le droit commun qui est accordée à toute autre victime d'un accident, est-il contraire à la Constitution et notamment à son article 1 0 bis?
3. l'article 115 du code des assurances sociales en excluant «leurs ayants droit (...) même s'ils n'ont aucun droit à prestation» de la réparation intégrale selon le droit commun qui est accordée à toute autre victime directe ou par ricochet d'un accident, est-il contraire à la Constitution et notamment à son article 1 0 bis?
4. l'article 115 du code des assurances sociales en accordant un droit de recours à la victime qu'en cas d'accident provoqué intentionnellement, alors que l'article 116 du même code accorde à l'Association des assurances contre les accident un droit de recours à l'égard des mêmes personnes responsables en cas d'accident provoqué tant intentionnellement que par simple négligence, est-il contraire à la Constitution et notamment à son article 10 bis?

La Cour Constitutionnelle a rendu son arrêt le 28 mai 2004.

Par conclusions notifiées le 17 février 2005, la société anonyme K. Luxembourg S.A. demande acte qu'elle reprend les instances inscrites sous les numéros 77 556 et 77 557 du rôle, étant donné que la société en commandite simple K. Sanem Ltd et Cie a été dissoute suivant acte notarié du 5 mai 2003.

Il y a lieu de lui donner acte.

L. estime que sa demande doit être déclarée recevable, étant donné qu'elle n'aurait droit à aucune prestation. Elle se réserve pour autant que de besoin le droit de verser un certificat aux débats attestant qu'elle n'a droit à aucune prestation.

M. pour sa part maintient l'ensemble de ses moyens tirés de la violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et des autres conventions internationales telles que citées dans l'acte introductif d'instance.

La société K. conclut par contre à l'irrecevabilité de la demande de M., étant donné que la Cour Constitutionnelle aurait clairement retenu que l'article 115 du Code des assurances sociales ne serait pas contraire à la Constitution en ce qui concerne le recours des victimes directes. Elle conclut également à l'irrecevabilité de la demande de son épouse, L.. Comme aux termes des articles 101 à 111 du Code des assurances sociales le conjoint de la victime directe peut sous certaines conditions toucher des prestations de l'A.A.A., L. serait à considérer comme ayant droit au sens de l'article 115 et dès lors irrecevable à réclamer une indemnisation suivant les règles du droit commun.

La Cour constitutionnelle a répondu dans son arrêt n020/04 comme suit aux questions ci-dessus posées:

« Sur la 1ère question:

Dit que l'article 115 du Code des assurances sociales n'est pas contraire aux articles 11 al 3, 12 et 16 de la Constitution,

Sur la 2e question:

Dit que le même article, en ce qu'il vise les personnes désignées aux articles 85, 86 et 90 du même code, n'est pas contraire à l'article 10bis(1) de la Constitution,

Sur la 3e question:

Dit que dans la mesure où il exclut du recours de droit commun les ayants droit de la victime d'un accident de travail qui n'ont, aux termes du code, aucun droit à prestation, l'article 115 du Code des assurances sociales est contraire à l'article 10bis (1) de la Constitution,

Sur la 4e question:

Dit qu'en instituant en ce qui concerne le droit de recours de la victime d'un accident de travail un régime différent de celui régissant le droit de recours de l'Association d'Assurance contre les Accidents, l'article 115 du Code d'assurances sociales n'est pas contraire à l'article 10bis(1) de la Constitution; »

En ce qui concerne les victimes directes d'un accident de travail, à savoir les assurés bénéficiant des prestations statutaires de l'Association d'Assurance contre les Accidents, l'article 115 du Code des assurances sociales est donc conforme aux dispositions constitutionnelles.

Dans le chef des ayants droit, la Cour constitutionnelle retient « que ces personnes, dans la mesure où elles remplissent les conditions pour bénéficier de prestations du chef d'un accident de travail, se trouvent dans une situation analogue à celle de l'assuré, de sorte que, pour les motifs retenus à l'appui de la réponse à la deuxième question, concernant ces personnes, l'article 115 du Code des assurances sociales n'est pas contraire à l'article 10bis(1) de la Constitution; », mais par contre- « l'article 115 du Code des assurances sociales, dans la mesure où il concerne les ayants droit qui n'ont aucun droit à prestation, porte atteinte au principe d'égalité devant la loi consacré par le texte constitutionnel dont il s'agit. »

Il s'ensuit que l'article 115 du Code des assurances sociales ne trouve pas à s'appliquer dans le cadre des recours des ayants droits n'ayant aucun droit à prestation, de sorte qu'un tel recours devant les juridictions ordinaires est à déclarer recevable.

Quant au recours de l'assuré et des ayants droits ayant un droit à prestation, il se pose dès lors encore la question de la conformité de l' article 115 du Code des assurances sociales par rapport aux dispositions internationales invoquées par les demandeurs.

En effet, à part la non-conformité de l'article 115 par rapport à certaines dispositions de la Constitution, les requérants ont encore soutenu que l'article 115 porterait atteinte aux dispositions suivantes:
à la protection des biens consacrée par les articles 1er du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l'homme et 6 du Traité de l'Union Européenne, au droit fondamental d'agir en justice prévu par les articles 6 § 1 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 2-1 du Protocole no7 de la même convention et les articles 14.1 et 26 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques de New York du 19 décembre 1966.

Or, conformément aux conclusions de la société K., la Cour de cassation a retenu dans un arrêt du 14 mars 1991 (no4/91) que le Pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 ne contient aucune disposition pouvant être invoquée directement par un particulier devant une juridiction nationale, l'adhésion au pacte ayant pour seul effet de créer des obligations pour les Etats contractants.

Il échet dès lors d'analyser la conformité de l'article 115 du Code des assurances sociales par rapport aux seules dispositions internationales directement applicables.

Les dispositions internationales consacrant la protection des biens et qui sont invoquées par les requérants sont les suivantes:

article 1 er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme:
« toute personne physique ou morale a le droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international» article 6 du Traité de l'Union Européenne: « 1. l'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres. 2. L'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garaptis par la CEDHLF, signée à Rome le 4 novembre 1950; et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. »

Sur ce point, les requérants avaient également invoqué la violation de l'article 16 de la Constitution.

La Cour constitutionnelle saisie de la question de la violation de l'article 16 par l'article 115 du Code des assurances sociales a répondu comme suit:

Considérant que l'article 16 de la Constitution dispose ce qui suit: «Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité. »;

Considérant que l'article 16 pose d'une part le principe que le propriétaire ne peut être privé du droit qu'il a sur sa propriété et énonce d'autre part la seule exception à ce principe, à savoir la privation de la propriété pour cause d'utilité publique dans les conditions prévues par une loi et moyennant une juste et préalable indemnité,

Considérant que, pour autant que la notion de propriété s'applique à des droits personnels tels qu'une créance indemnitaire, encore faudrait-il que la créance soit effectivement née dans le chef de la personne qui s'en réclame;

Que l'article 115 du Code des assurances sociales qui s'oppose à la naissance de la créance indemnitaire n'est pas contraire à l'article 16 de la Constitution,

Les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme cités par les requérants ne viennent pas contredire le principe retenu par la Cour constitutionnelle, à savoir qu'aucune créance n'a pu naître dans le chef des requérants. En effet ces décisions concernent toutes des situations dans lesquelles une loi est intervenue postérieurement aux faits, alors qu'en l'espèce l'article 115 du Code des assurances sociales était bien en vigueur au moment de l'accident litigieux.

Eu égard au principe retenu par la Cour constitutionnelle, l'article 115 du Code des assurances sociales n'a pas privé les requérants de leur bien et n'a donc pas violé ni l'article 16 de la Constitution, ni l'article 1er du Protocole 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, ni l'article 6 du Traité de l'Union européenne.

En tout état de cause, même si une créance existait dans le chef des requérants, ceux-ci admettent que des ingérences sont toujours possibles dans la mesure où un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de sauvegarde des intérêts fondamentaux de l'individu. Or au sujet de ce «rapport de proportionnalité », la Cour constitutionnelle a encore retenu que l'article 115 du Code des assurances sociales n'a pas méconnu ce principe.

Les requérants invoquent ensuite une atteinte au droit fondamental d'agir en justice et estiment qu'il y a violation des dispositions internationales suivantes:

article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme: « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de droit civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle »,

articie 14 de la Convention européemle des droits de l'honune : «la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine. nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale; la fortune, la naissance ou toute autre situation »,

article 2-1 du Protocole n07 de la Convention, européenne des droits de l'homme:
« toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi. »

Selon les requérants, l'article 115 du Code des assurances sociales aboutirait en fait à une négation du droit d'agir avec toutes les conséquences qui en découlent, notamment concernant les droits fondamentaux concernés. L'excès du texte serait d'ailleurs tel que la limite posée, à savoir l'existence d'un accident provoqué intentionnellement, serait constituée par une hypothèse qui n'existerait même pas en droit.

L'«accident» dont il est question à l'article 115 est toujours à comprendre comme« accident de travail» ou «accident professionnel ». Suivant l'article 92 du Code des assurances sociales, on entend par accident professionnel celui qui est survenu à un assuré par le fait du travail ou à l'occasion de son travail. Il n'est donc nullement exclu, voir même impossible qu'un accident de travail, reconnu comme tel suivant les dispositions du Code des assurances sociales, puisse avoir été provoqué intentionnellement.

En ce qui concerne le droit d'agir, et plus particulièrement le droit d'accès à un tribunal, la Cour européenne des droits de l'homme a retenu dans l'arrêt Ashingdane c. Royaume-Uni (arrêt du 28 mai 1985, série A n093) les principes suivants:

Le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect, peut être invoqué par quiconque a des raisons sérieuses d'estimer illégale une ingérence dans l'exercice de l'un de ses droits (de caractère civil) et se plaint de n'avoir pas eu l'occasion de soumettre pareille contestation à un tribunal répondant aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A na 43, p. 20, par. 44 in fine, et Sporrong et Lonnroth du 23 septembre 1982, série A na 52, p. 30, par. 81). En outre, les « contestations» visées à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) peuvent porter sur l'existence même d'un «droit de caractère civil» (premier arrêt cité, p. 22, par. 49 infine).

Bien entendu, le droit d'accès aux tribunaux n'est pas absolu; il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il « appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus» (arrêt Golder précité, série A na 18, p. 19, par. 38, citant celui du 23 juïllet 1968 en l'affaire « linguistique belge .», série A na 6, p. 32, par. 5).

En élaborant pareille réglementation, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation. S'il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le re.'Jpect des exigences de la Convention, elle n'a pas qualité pour substituer à l'appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Klass et autres du 6 septembre J 978, série A n° 28, p. 23, par.
49).

Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même (arrêts Golder et « linguistique belge» précités, ibidem; voir aussi l'arrêt Winterwerp précité, série A n° 33, pp. 24 et 29, par. 60 et 75). En outre, elles ne se concilient avec l'article 6 par 1 (art. 6-1) que si elle poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Quant à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour a retenu dans son arrêt National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni (arrêt du 23 octobre 1997, Recueil 1997-VII) ce qui suit:

La Cour rappelle que l'article 14 de la Convention offre une protection contre une discrimination dans la jouissance des droits et libertés garantis par les autres clauses normatives de la Convention. Toute différence de traitement n'emporte toutefois pas automatiquement violation de cet article. Il faut établir que des personnes placées dans des situations analogues ou comparables en la matière jouissent d'un traitement préférentiel, et que cette distinction ne trouve aucune justification objective et raisonnable. D'ailleurs, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure les différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des différences de traitement juridique (voir, comme exemple récent, l'arrêt Stubbings et autres c. Royaume-Uni du 22 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions J 996-IV, p. J 507, § 72).

En ce qui concerne le rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ainsi que la justification objective et raisonnable d'une différence de traitement, que la Cour constitutionnelle a également analysé dans le cadre de la conformité de l'article 115 par rapport au principe d'égalité des Luxembourgeois devant la loi (article 10 bis de la Constitution), celle-ci a retenu dans son arrêt du 28 mai 2004 (Mém. A n094 du 18 juin 2004, p.1561 et s.) :

Considérant que le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l'égalité soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu'elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but,

Considérant que l'assurance contre les accidents, dont le but principal est d'assurer la subsistance de la victime d'un accident de travail et celle de sa famille, garantit aux bénéficiaires une indemnisation forfaitaire tout en les excluant du droit d'agir en réparation de leur préjudice selon le droit commun;

Considérant que le critère de distinction entre les personnes visées aux articles 85, 86 et 90 du Code des assurances sociales victimes d'accidents de travail d'une part et les victimes d'accidents de droit commun d'autre part est objectif et pertinent par rapport au système d'indemnisation en matière d'accidents professionnels;

Considérant que la limitation du droit d'agir prévue par l'article 115 du Code des assurances sociales s'explique par une réglementation s'écartant du droit commun basée non plus sur la notion de faute, mais sur celle de risque professionnel et sur une répartition de ce risque entre l'employeur et la victime de l'accident du travail, l'assuré bénéficiant des prestations statutaires de l'Association d'Assurance contre les Accidents même en l'absence de responsabilité dans le chef de l''«auteur de l'accident» et même en cas de faute dans son chef;

Que cette limitation permet le fonctionnement même du système d'indemnisation forfaitaire ét automatique et contribue au maintien de la paix sociale dans les entreprises, que ce soit dans les relations entre travailleurs et assimilés ou, le cas échéant, dans les relations entre ces mêmes personnes et leurs employeurs;

Que cette différence de traitement est rationnellement justifiée,

Que la limitation du droit d'agir qui constitue la contribution de l'assuré victime au fonctionnement de ce système d'indemnisation est adéquate;

Que de même il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les objectifs poursuivis et la différenciation établie, les victimes d'accidents de travail étant indemnisées en dehors de toute considération de faute et dispensées de rapporter la preuve de la responsabilité de l'auteur de l'accident, ceci d'autant plus que la limitation ne s'applique pas au cas où un jugement pénal constate une faute intentionnelle dans le chef de cet auteur;

Eu égard à ces principes retenus par la Cour constitutionnelle et indépendamment de la question de savoir si le recours devant les juridictions sociales suffit au regard des exigences de la Convention européenne des droits de l'homme, la restriction imposée en l'espèce par l'article 115 du Code des assurances sociales n'a pas méconnu le principe de proportionnalité et la différence de traitement est rationnellement justifiée. Il s'ensuit que les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme ne se trouvent pas violées.

L'article 115, dont il convient encore de déterminer le champ d'application, trouve donc bien à s'appliquer. L'arrêt précité de la Cour constitutionnelle a encore retenu en ce qui concerne les ayants droit de la victime d'un accident de travail:

Considérant que constituent des ayants droit au sens de cette disposition toutes personnes autres que l'assuré susceptibles de bénéficier à un titre quelconque d'une prestation de la part de l'Association d'Assurance contre les Accidents;

Considérant que ces personnes, dans la mesure où elles remplissent les conditions pour bénéficier de prestations du chef d'un accident de travail, se trouvent dans une situation analogue à celle de l'assuré, de sorte que, pour les motifs retenus à l'appui de la réponse à la deuxième question, concernant ces personnes, l'article 115 du Code des assurances sociales n'est pas contraire à l'article 10bis(1) de la Constitution;

Considérant par contre que l'article 115 du Code des assurances sociales, dans la mesure où il concerne les ayants droit qui n'ont aucun droit à prestation, porte atteinte au principe d'égalité devant la loi consacré par le texte constitutionnel dont il s'agit,

Qu'en effet il ny a'pas de justification objective de refuser le recours selon le droit commun à un ayant droit de la victime écarté du système d'indemnisation des accidents de travail;

Que dès lors, dans la mesure où il exclut du recours de droit commun les ayants droit de la victime qui n'ont aucun droit à prestation, l'article 115 du Code des assurances sociales est contraire à l'article 10bis(1) de la Constitution;" .

Seul le recours des ayants droit qui n'ont aucun droit à prestation est dès lors recevable. Il s'ensuit que le recours de M. qui est l'assuré est d'ores et déjà à déclarer irrecevable.

Quant au recours de L., celle-ci prétend qu'elle tombe sous la catégorie des ayants droit n'ayant aucun droit à prestation en précisant qu'elle n'a fait à ce jour l'objet d'aucune indemnisation personnelle. Elle se réserve pour autant que de besoin le droit de verser un certificat aux débats attestant qu'elle n'a droit à aucune prestation.

La société K. estime qu'il appartient à L. de préciser si elle a été d'une façon ou d'une autre indemnisée à titre personnel. Comme aux termes des articles 101 à 111 du Code des assurances sociales le conjoint de la victime directe peut sous certaines conditions toucher des prestations de l'A.A.A., L. serait à considérer comme ayant droit au sens de l'article 115.

Il appartient en effet à L. d'établir que sa demande est bien recevable.
En l'absence d'une quelconque pièce quant aux prestations effectuées par l'A.A.A. et aux bénéficiaires de ces prestations, le tribunal ignore tout sur l'indemnisation prise en charge par l'A.A.A. Il y a dès lors lieu de refixer l'affaire afin de permettre à L. de verser un certificat attestant qu'elle n'a droit à aucune prestation.

PAR CES MOTIFS

le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, onzième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, le juge de la mise en état entendu en son rapport oral,

vu l'ordonnance de clôture de l'instruction du 2 mars 2005,

vu le jugement du 30 octobre 2003 et l'arrêt de la Cour Constitutionnelle du 28 mai 2004,

donne acte à la société anonyme K. Luxembourg S.A. de sa reprise d'instance et la déclare recevable en la forme,

dit la demande de M. irrecevable,

quant à la demande de L.,

avant tout autre progrès en cause, refixe l'affaire à la conférence de mise en état du mercredi 13 iuillet 2005. à 15.00 heures. salle 35. deuxième étage du Palais de Justice, afin de permettre à L. de verser un certificat attestant qu'elle n'a droit à aucune prestation,

déclare le présent jugement commun à l'Association des Assurances contre les Accidents et à la société L.,

réserve le surplus.

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