Le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg rendit à l'audience publique du 13 juillet 1984 lejugement qui suit:
Vu l'arrêt de la Chambre des mises en accusation du 27 avril 1982;
En date du 10 avril 1981, un accident de travail a eu lieu sur le chantier "LUXGUARD" à Bascharage dans les circonstances suivantes: L'ouvrier D. était en train d'effectuer des travaux d'ajustage à la gouttière d'une construction métallique. L'ouvrier se trouvait sur le toit qui accusait une pente très faible à une hauteur d'au moins 14 mètres. Pour effectuer son travail qui consistait à embriquer différents éléments devrant constituer la gouttière, l'ouvrier s'était accroupi près du bord du toit, tout en étant obligé d'utiliser ses 2 mains. Il résulte de l'instruction que pour l'exécution de ce travail dangereux, qui expose l'ouvrier à une chute grave, aucune mesure de sécurité n'avait été prise, telle que l'installation d'échafaudages, de gardes-corps, de crochets, de plinthes ou autres diposisitifs protecteurs comme l'utilisation de ceintures de sûreté avec cordages permettant de s'attacher à un point fixe.
Pour justifier l'absence d'un tel dispositif de sécurité les deux prévenus prétendent qu'il leur était matériellement impossible de procéder à cette installation eu égard notamment à la configuration des lieux, du système de montage de la construction et à la présence sur le chantier d'autres corps de métier. Les deux prévenus affirment toutefois qu'ils auraient envoyé un deuxième ouvrier sur le toit chargé d'assurer la surveillance de celui qui devait effectuer les travaux à la gouttière. Plus particulièrement ils soutiennent que, pour éviter une chute ce deuxième ouvrier avait la mission de tenir la victime par les pieds.
A ce sujet il échet de relever que l'ouvrier chargé de la "surveillance" n'était pas non plus muni de dispositifs de sécurité. Il découle même du procès-verbal no.238 dressé par la brigade de gendarmerie de Bascharage que l'ouvrier B. qui se trouvait en compagnie de la victime sur le toit, n'était nullement affecté à la sécurité de cette dernière. Interrogé sur le vif peu après l'accident celui-ci a déclaré que lui-même ainsi que son compagnon de travail étaient chargés de travaux à la gouttière du hall de production. Ils avaient presque terminé le travail lorsque à un moment donné il s'est éloigné du bord du toit tout en tournant le dos à son compagnon. Lorsqu'il s'est retourné, ce dernier avait disparu.
Le tribunal estime devoir accorder foi à ces déclarations, ceci d'autant plus que le prévenu M. a affirmé, lors de l'audience du tribunal correctionnel du 16 novembre 1982: "J'ai envoyé deux hommes parce qu'il s'agit d'un travail monotone".
Le Parquet reproche aux deux prévenus à la fois d'avoir par défaut de prévoyance ou de précaution, mais sans l'intention d'attenter à la personne d'autrui, involontairement causé la mort de l'ouvrier D., ainsi qu'une infraction aux dispositions de l'article 26 de l'arrêt g.-d. du 28 août 1924.
L'expert Daubenfeld a lors de l'audience du 3 juillet 1984 décrit toute une série de mesures de sécurité parfaitement adaptables à ce genre de travaux, qui auraient permis d'éviter tout accident. Il a formellement écarté les explications des deux prévenus concernant l'impossibilité matérielle de satisfaire aux dispositifs de sécurité.
Il résulte du dossier répressif que le prévenu S. était chargé de diriger les travaux de montage des constructions et que le prévenu M. était chargé de la direction technique des chantiers.
Leur mandataire soutient que les deux prévenus devraient en tout état de cause être acquittés de la prévention d'homicide involontaire. Si le tribunal devait retenir une infraction à l'article 26 de l'arr.g.-d. du 28.8.1924, celle-ci ne serait pas en relation causale avec de délit d'homicide involontaire. Or force est de constater que les dispositions des articles 418 et 419 du Code Pénal s'appliquent à toute faute même la plus légère. Une telle faute peut être constituée par toute maladresse, imprudence, inattention, négligence ou défaut de prévoyance et de précaution. Une abstention doit même être retenue comme faute-cause de lésions-au sens de l'article 418 du Code pénal si elle constitue la violation d'une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle (C.S.J. 16.2.1968 Pas. 20 p.432). En l'espèce il y a eu violation flagrante des dispositions de l'article 26 de l'arrêté grand-ducal du 28 août 1924.
S. a été mis en prévention à titre de dirigeant responsable des constructions métalliques. Si le chef d'entreprise répond pénalement des infractions qui se commettent dans l'entreprise, c'est en raison de l'autorité qu'il exerce sur les hommes et sur les choses ainsi rassemblés, qui constituent son industrie. Fondamentalement c'est ce pouvoir qui est à la source des responsabilités encourues, le salarié étant prisonnier d'une structure sur laquelle il n'a guère de prise (Journal des Tribunaux du Travail 1980, article de T.Werquin p.40). Ce même chef d'entreprise est personnellement tenu de veiller au respect de la législation sociale. En matière d'hygiène et de sécurité il ne suffit pas de donner des instructions pour éviter les infractions, mais il faut veiller à l'exécution de ces instructions. De même il ne suffit pas de mettre le matériel de protection à la disposition du personnel, encore faut-il veiller à ce qu'il soit effectivement utilisé par celui-ci, sans possibilité d'invoquer une cause de justification (même référence, voir sous section 3 Régime juridique de la responsabilité pénale).
En l'espèce D. a travaillé sur un toit à la hauteur de 14 mètres sans aucun dispositif de sécurité. Il appartient à l'employeur, sachant que ses ouvrieres effectuent des travaux extrêmement dangereux, de veiller personnellement à ce que ses ouvriers disposent de dispositifs de protection adéquats et qu'ils les utilisent. S. ne pouvait ignorer qu'en raison de la hauteur à laquelle travaillait son personnel, il était exposé à un risque de chute dans le vide. De ce fait, son comportement constitue une faute inexcusable, d'une gravité exceptionnelle (Gz. du Palais, DALLOZ, Tables communes 1971-1973 v Accidents de travail nos. 261 et 262 p.30).
M. P. a été mis en prévention à titre de responsable technique des constructions métalliques.
N'importe quelle personne peut faire l'objet d'une condamnation pénale à l'occasion d'un accident de travail. Il n'y a juridiquement pas de limites à l'emprise de droit dès lors qu'une faute en liaison avec l'accident est relevée (voir l'obligation de sécurité du chef d'entreprise par Hubert Seillan p.312, no.615).
Il est acquis en l'espèce que P. chargé de la surveillance de ce chantier n'était pas présent sur les lieux au moment de l'accident. Ce comportement témoigne d'une faute d'une gravité exceptionnelle alors que le responsable d'un chantier qui sait que ses ouvriers travaillent dans des conditions extrêmement dangereuses doit absolument veiller personnellement à ce que ces derniers respectent les consignes de sécurité. Il résulte de ce qui précède que les prévenus S. et P. ont tous les deux commis des fautes graves constituant la cause de l'homicide involontaire. La responsabilité pénale des deux prévenus est engagée. Ils sont partant convaincus comme coauteurs:
S., comme dirigeant responsable des constructions métalliques,
P., comme responsable technique des constructions métalliques,
le 10.4.1981, vers 09.00 heures, à Bascharage, au lieu-dit "Bommerbesch", usine LUXGUARD,
1) d'avoir par défaut de prévoyance et de précaution, mais sans l'intention d'attenter à la personne d'autrui, partant involontairement porté des coups et fait des blessures ayant entraîné la mort à la personne de D., ouvrier, né le ..., ayant demeuré de son vivant à ...;
2) en infraction à l'article 26 de l'arr.g.-d. du 28.8.1924, concernant la santé et la sécurité du personnel occupé aux travaux de construction, d'aménagement, de réparation ou de terrassement,
d'avoir omis de fournir à leurs travailleurs, en l'espèce à D., prénommé, des cordes avec ceintures de sécurité ou, à defaut, de faire usage de dispositifs spéciaux, tels que chevalets, lorsque les travailleurs ne pouvaient être protégés par des échafaudages;
Attendu que ces infractions se trouvent en concours idéal de sorte qu'il y a eu lieu à application de l'article 65 du Code pénal;
Attendu que les prévenus ne semblent pas indignes de la clémence du tribunal et qu'ils n'ont pas encore fait l'objet d'une condamnation les excluant du bénéfice de la condamnation conditionnelle; qu'il échet partant de leur accorder la faveur du sursis quant à l'exécution de la peine d'emprisonnement à prononcer à leur égard;
AU CIVIL:
Maître Gaston VOGEL, mandataire de l'Association d'Assurance contre les accidents, s'est constitué partie civile contre les 2 prévenus en se basant sur l'article 116 CAS. Les dispositions de cet article ne s'appliquent qu'en cas de condamnation irrévocable. Or le terme irrévocablement doit être interprété en ce sens qu'il faut exclure du champ d'application de l'article 116 du CAS les condamnations conditionnelles, alors que ces condamnations ne peuvent être assimilées à une condamnation pénale irrévocable qui, par définition est exécutoire de plein droit dans son intégralité (C.S.J. 1.12.1965 Pasicrisie 20 p.15). Compte tenu des condamnations antérieures intervenues au pénal, la partie civile est à déclarer irrecevable. Elle doit être condamnée à ses frais.