CSJ-13.06.1988

Thème(s)
Actions récusoires
Domaine(s)
Recours contre tiers responsable
Mot(s) clef(s)
Référé  | Provision  | Conditions  | Décision sur la responsabilité civile  | Incidence  | Assiette du recours  | Cession légale

Référence

  • CSJ-13.06.1988
  • N. 10117 du rôle.
  • U198370212

Base légale

  • Art0807-al02-CPC
  • Art0074-CSS
  • Art0118-CSS
  • Art0237-CSS

Sommaire

Le juge des référés peut accorder une provision au créancier au cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

La créance de l'assurance-accidents est sérieusement contestable et la demande en provision irrecevable à défaut de décision judiciaire sur la question de la responsabilité civile de l'assuré social victime permettant de connaître la créance de droit commun de l'assuré victime contre le tiers responsable dans sa consistance et dans son quantum.

Si le partage des responsabilités pouvant exister entre le tiers responsable et l'assuré social-victime ne s'applique pas aux montants objet des recours visés dans les textes de loi précités, il s'applique cependant à l'assiette de ces recours.

L'AAA a qualité pour agir seule et sans intervention de C. contre M., que ce droit résulte en effet pour elle du mécanisme juridique même qui nantit dans les cas prévus aux articles 74, 118 et 237 du Code des Assurances sociales l'organisme de sécurité sociale concerné des droits de l'assuré social-victime contre le tiers responsable et qui est celui de la cessio legis.

Corps

La Cour:

Attendu que par exploit d'huissier du 5 mars 1987, l'Association d'assurance contre les accidents, exposant que son affilié C., adjudant de gendarmerie près de la brigade de gendarmerie de Differdange fut le 15 juin 1983 frappé et blessé dans l'exercice de ses fonctions par le nommé M. et que celui-ci a été condamné de ce chef par jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg en date du 20 janvier 1984 et coulé en force de chose jugée et exposant encore qu'à la suite des faits du 15 juin 1983, elle était tenue de faire à son affilié susdit des prestations pour un montant de 672.753, francs et qu'en outre, elle est appelée à lui verser une rente d'invalidité ayant une valeur en capital de 1.497.899, francs et déclarant exercer du chef de ses débours en faveur de C. et s'élevant, valeur au 1er décembre 1986, à 2.264.293, francs, les recours tels que prévus aux articles 118 et 237 du Code des Assurances Sociales fit donner assignation à M. à comparaître devant le juge des référés de Luxembourg pour le voir condamner à lui payer du chef des causes susmentionnées, à titre de provision, la somme de 2.264.293, francs "avec les intérêts légaux tels que de droit jusqu'à solde";

Que lors des débats à l'audience du juge des référés, l'assigné déclara s'opposer à ce qu'il soit fait droit à la demande susdite; qu'en ordre principal, il opposa l'irrecevabilité de cette demande; que dans un ordre subsidiaire, il contesta sa responsabilité au civil dans la genèse et les suites dommageables des faits du 15 juin 1983, ainsi que les montants réclamés par la demanderesse; qu'il soutint qu'en présence de ses dites contestations, la demande serait irrecevable pour être sérieusement contestable; qu'il demanda reconventionnellement l'institution d'un collège de trois experts aux fins de voir évaluer par les experts les montants devant revenir; le cas échéant, à la demanderesse en vertu de ses recours;

Attendu que par ordonnance contradictoirement rendue entre parties le 21 avril 1987, le juge des référés, après avoir rejeté comme non fondé le moyen d'irrecevabilité soulevé par M. et après avoir donné acte à ce dernier de sa demande reconventionnelle, a déclaré irrecevable tant la demande principale de l'Association d'assurance contre les accidents que celle reconventionnelle de M. et a condamné la demanderesse Association d'assurance contre les accidents aux frais de l'instance;

Attendu qu'il appert de l'ordonnance précitée que pour rejeter le moyen de procédure qui avait été opposé à la demande par le défendeur et qui, selon les énonciations de ladite ordonnance, consistait à soutenir que "la partie demanderesse n'aurait pas qualité pour agir directement seule contre M. sans l'intervention de C.", le juge des référés a considéré que "tant l'article 118 que l'article 237 du Code des Assurances Sociales prévoient simplement la subrogation légale du droit de recours de l'assuré contre le tiers responsable ou son assureur au profit des organismes de sécurité sociale", mais que ces textes légaux ne disposent "nullement que la Caisse de sécurité sociale ne peut exercer ce recours sans l'intervention de son assuré, créancier de l'indemnité";

Que pour déclarer irrecevable la demande principale de l'Association d'assurance contre les accidents, le juge des référés a considéré que les contestations opposées par M. quant au principe et à l'étendue de sa responsabilité civile étaient sérieuses; que pour statuer ainsi, le juge des référés a considéré que M. ne pouvait être tenu au paiement des montants objet du recours de la partie demanderesse qu'à la condition -non établie en cause- qu'il soit civilement responsable de la genèse et des suites dommageables des faits du 15 juin 1983; que, quant aux contestations élevées par M. relativement aux montants à lui réclamés, le juge des référés a considéré qu'étant donné le caractère sérieux des contestations de M. quant au principe et à l'étendue de sa responsabilité civile en rapport avec les faits prévisés", il devenait superfétatoire d'examiner les critiques de M. concernant les montants réclamés";

Que pour statuer sur la demande reconventionnelle comme il l'a fait, le juge des référés a considéré que l'irrecevabilité de cette demande découlait de celle admise de la demande principale;

Attendu que la susdite ordonnance n'a pas été signifiée à l'Association d'assurance contre les accidents; que celle-ci en a relevé appel par exploit Steffen du 10 juillet 1987; que cet appel, régulier quant à la forme et au délai, est recevable;

Attendu que l'appelante demande à la Cour de réformer l'ordonnance entreprise, de déclarer sa demande recevable et fondée et de condamner l'intimé à lui payer à titre de provision la somme de 2.264.293, francs" avec les intérêts légaux tels que de droit jusqu'à solde";

Attendu qu'à l'appui de son appel l'appelante fait valoir que ce serait à tort que le juge des référés a qualifié de sérieuses les contestations élevées par M. quant au principe de sa responsabilité civile relativement aux blessures subies par C. le 15 juin 1983, étant donné "qu'il résulte du jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg en date du 20 janvier 1984, coulé en force de chose jugée, que M. a été convaincu d'avoir porté des coups à C., avec la circonstance que les coups ont été la cause de blessures et de maladie, et condamné de ce chef (...)";

Que l'appelante soutient que ce serait encore à tort que le juge des référés a qualifié de sérieuses les contestations élevées par M. quant à l'étendue de sa responsabilité, alors "qu'en effet le montant du recours de l'Association d'assurance contre les accidents qui résulte de la stricte application des dispositions légales régissant la matière ne saurait donner lieu à contestation en soi "et que "par ailleurs les prestations de l'organisme social ne sont, ni par leur nature, ni par leur montant, de nature à modifier la dette totale de M. qui sera toujours égale au préjudice calculé selon le droit commun";

Attendu que l'intimé conclut au débouté de l'appel; qu'il oppose à la demande les mêmes moyens de procédure et de fond que ceux déjà soulevés en première instance; qu'il n'a pas reprise la demande reconventionnelle qu'il avait présentée en première instance;

Attendu que reprenant le moyen de procédure qu'il avait déjà soulevé en première instance, l'intimé soutient que la demande l'appelante-demanderesse originaire serait irrecevable alors que celle-ci n'aurait pas "d'action directe" contre lui et ne pourrait agir directement seule contre lui sans l'intervention de l'assuré-vicitime C.";

Attendu que ce moyen n'est cependant pas fondé, alors que l'appelante demanderesse originaire a qualité pour agir seule et sans intervention de C. contre M., que ce droit résulte en effet pour elle du mécanisme juridique même qui nantit dans les cas prévus aux articles 74, 118 et 237 du Code des Assurances sociales l'organisme de sécurité sociale concerné des droits de l'assuré social-victime contre le tiers responsable et qui est celui de la cessio legis;

Attendu que l'intimé maintient les contestations qu'il avait fait valoir en première instance quant au principe et à l'étendue de sa responsabilité au civil dans la genèse et les suites dommageables des faits du 15 juin 1983; qu'il fait valoir notamment qu'il y aurait pour le moins partage des responsabilités entre luiet C.;

que l'intimé conteste également les montants qui lui sont réclamés par l'appelante-demanderesse originaire;

Attendu que les arguments susmentionnés avancés par l'appelante pour faire écarter comme non sérieuses les contestations élevées par M. quant à l'étendue de sa responsabilité civile en rapport avec les faits du 15 juin 1983 et leurs suites dommageables ne sont pas pertinents, alors qu'ils ne rencontrent pas l'allégation de l'intimé suivant laquelle il pourrait y avoir partage des responsabilités entre lui et C.;

Attendu qu'aux termes de l'article 807, alinéa deux, du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier au cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable;

Attendu qu'il résulte des articles 74, 118, 237 du Code des Assurances Sociales que les recours qu'ils prévoient sont conférés contre le tiers responsable;

qu'il en suit que les organismes de sécurité sociale visés dans les textes légaux précités n'ont pas de recours au cas où l'affilié-victime est seul responsable du fait générateur du dommage;

Attendu que si le partage des responsabilités pouvant exister entre le tiers responsable et l'assuré social-victime ne s'applique pas aux montants objet des recours visés dans les textes de loi précités, il s'applique cependant à l'assiette de ces recours;

qu'il en suit que les montants pouvant être alloués au titre des recours prévisés sont notamment fonction de l'existence d'un partage de responsabilité institué entre l'assuré-victime et le défendeur à l'action récursoire exercée;

Attendu que, pour que le recours de l'un des organismes de sécurité susvisés puisse être alloué pour le montant intégral demandé, il faut que notamment son assiette soit suffisante

qu'il en résulte que tant que la créance en droit commun de l'assuré-victime contre le tiers responsable n'est pas connue dans sa consistance et dans son quantum, il est impossible de statuer d'ores et déjà sur le recours exercé par l'organisme de sécurité sociale concerné contre le tiers responsable;

Attendu qu'il suit des développements qui précèdent que, pour qu'il soit en l'espèce possible d'apprécier le mérite de la demande de l'Association d'assurance contre les accidents, il faut qu'il soit établi quelle était la part de responsabilité de M. dans la genèse et les suites dommageables des faits du 15 juin 1983 (responsabilité entière ou partielle) et quelle est la créance en droit commun de C. contre M.;

Or, attendu qu'il appert du jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg en date du 20 janvier 1984 et coulé en force de chose jugée que le tribunal correctionnel a statué dans ce jugement uniquement sur l'action publique intentée pa rla partie publique contre M. en rapport avec les faits du 15 juin 1983;

Qu'il est constant qu'il n'a pas statué non plus par une autre décision judiciaire sur la question de la responsabilité civile de M. en rapport avec le fait générateur du dommage de l'espèce ni sur la créance indemnitaire pouvant appartenir en droit commun à C. contre M.; Attendu d'autre part que la question de savoir si M. est seul civilement responsable de la genèse et des suites dommageables des faits du 15 juin 1983 ou si au contraire la responsabilité civile de la victime se trouve également engagée et celle de la détermination des droits de l'assuré-victime C. en droit commun contre M. sont des questions qui relèvent de la compétence du juge du fond;

Attendu qu'il échet dès lors de constater que le fait que les deux questions prévisées n'ont pas encore fait l'objet d'une décision du juge du fond rend sérieusement contestable la demande en référé provision de l'appelante et demanderesse originaire, le mérite de cette demande ne pouvant en effet être apprécié qu'une fois qu'il a été statué en justice sur lesdites questions et la juridiction des référés n'ayant pas pouvoir pour statuer sur ces mêmes questions;

Attendu qu'il en suit que la demande de l'appelante et demanderesse originaire est irrecevable; que dès lors il y a lieu à confirmation de l'ordonnance entreprise;

Par ces motifs:

la Cour d'appel, deuxième chambre, siégeant en matière d'appels de référé, statuant contradictoirement, le Ministère Public entendu en ses conclusions;

déclare l'appel recevable, mais non fondé;

confirme l'ordonnance entreprise dans ses dispositions attaquées;

condamne l'appelante aux frais de l'instance d'appel.

La lecture du présent arrêt a été faite en la prédite audience publique par Monsieur BENDUHN, conseiller délégué à ces fins, en présence de Messieurs Emile PENNING, conseiller, Edmond GERARD; avocat général et Paul RIES, greffier.

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