No. 278/2001
Audience publique du jeudi, 17 mai 2001,
Le tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, a rendu en date du jeudi, dix-sept mai deux mille un, le jugement qui suit dans la cause
entre
le ministere public
et
N.,
ouvrier,
né le 14 mars 1969 à Pena / Lisboa (P), demeurant à L-6212 CONSDORF, 9, route d'Echternach,
prévenu principalement du chef de faux et usage de faux , subsidiairement d'infraction à la loi du 27 juillet 1987 portant reforme du Code des assurances sociales.
Faits:
Après l'appel de la cause à l'audience publique du jeudi, 3 mai 2001, Monsieur le président constata l'identité du prévenu, qui avait comparu en personne, et lui donna connaissance de l'acte ayant saisi le tribunal.
Le prévenu fut interrogé et entendu en ses explications et moyens de défense.
Les moyens du prévenu N. furent en outre exposés par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, demeurant a Diekirch.
Le ministère public, par l'organe de Madame Marie-Paule BISDORFF,
substitut principal du procureur d'Etat, résuma l'affaire et fut entendue en son réquisitoire.
Le tribunal prit l'affaire en délibéré et fixa jour et heure pour le prononcé du jugement à l'audience publique du jeudi, 17 mai 2001.
A cette audience publique, le tribunal rendit le
jugement
qui suit :
Vu l'ordonnance de la chambre du conseil du tribunal d'arondissement de et à Diekirch du 17 janvier 2001, renvoyant l'accusé N. devant la chambre correctionnelle de ce même tribunal du chef d'infractions aux articles 193,196 et 197 du Code pénal.
Vu la citation du 19 mars 2001 (not. 1293/2000 XD) régulièrement notifiée à prévenu.
Vu la plainte déposée au Parquet de Diekirch en date du 31 mai 2000 et le rapport n° 2000/31284/651 de la police grand-ducale de Grevenmacher, centre d'intervention d'Echternach.
Les faits :
L'examen du dossier répressif ensemble avec l'instruction et les débats menés à l'audience a permis de dégager ce qui suit :
Par contrat écrit de vente du 17 février 1998, intitulé "facture" N. acquiert de la part d'F. un véhicule Renault 5 pour le prix de 9.000.- francs.
Le 8 mars 2000, N. a un accident lors duquel sa voiture est endommagée. Il décidé de réparer ensemble avec un ami lesdits dégâts en récupérant des pièces détachées d'un parc à ferraille. Par déclaration du 14 mars 2000 l'employer de N. informe l'Association d'Assurance contre les Accidents, section industrielle, en abrégé A.A.I., de l'accident de trajet du 8 mars 2000 dont a été victime son employé. En vue de l'indemnisation du dommage matériel subi par N., celui-ci fait parvenir le 13 avril 2000 à l'A.A.I. par voie postale une copie de ladite facture du 17 février 1998. Ladite facture a cependant été modifiée auparavant par N. qui a ajouté un chiffre « 4 » devant le prix de vente, portant ainsi le prix à 49.000.- francs. Comme l'A.A.I. se doute de l'authenticité de ladite pièce, elle se renseigne auprès du vendeur du véhicule et doint constater que le prix réel de vente n'était que de 9.000.- francs. Le 3 mai 2000, N. est convoqué dans les bureaux de l'A.A.I. où il avoue oralement et par écrit avoir procédé à une modification du prix sur la facture d'achat.
Le 31 mai 2000, l'A.A.I. porte plainte auprès du Parquet de Diekirch pour infraction à l'article 315 al.2 du Code des assurances sociales, subsidiairement pour faux et usage de faux.
En droit :
Par ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de céans du 17 janvier 2001, N. est renvoyé devant la chambre correctionnelle de ce même tribunal principalement du chef d'infractions aux articles 193 196 et 197 du Code pénal. Par citation à prévenu du 19 mars 2001, le ministère public reproche à N. à titre subsidiaire d'avoir enfreint aux dispositions de l'article 315 al. 2 du Code des assurances sociales, tel que modifié par la loi du 27 juillet 1987 concernant l'assurance pension en cas de vieillesse,-d'invalidité et de survie.
Le prévenu fait plaider qu'il y aurait eu absence d'intention frauduleuse dans son chef et qu'il n'y aurait pas eu possibilité d'un préjudice, alors que l'A.A.I. n'aurait de toute façon pas remboursé le montant intégral à son assuré sans vérification de la valeur selon un barème forfaitaire. Deux des conditions du faux en écritures faisant défaut, le prévenu serait à en acquitter.
Il est vrai qu'en vertu de l'article 213 du Code pénal, l'application des peines portées contre ceux qui auront fait usage des écrits altérés n'aura lieu qu'autant que ces personnes auront fait usage de la chose fausse, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.
Il a cependant été décidé que l'intention frauduleuse se définit comme étant le dessein ou l'intention de se procurer ou de procurer à autrui un avantage illicite quelconque. Elle porte, non sur la fin poursuivie, mais sur le moyen employé pour obtenir cette fin. L'intention frauduleuse se restreint à la seule volonté d'introduire dans les relations juridiques un document que l'on sait inauthentique ou mensonger pour obtenir un avantage, même légitime en soi, que l'on n'aurait pas pu obtenir ou que l'on n'aurait obtenu que malaisément en respectant la vérité ou l'intégralité de l'écrit (V. Lux. 22 avril 1999, P 31, 82).
En l'espèce, il ressort de l'analyse des faits que cette volonté d'obtenir cet avantage a existé chez le prévenu au moment de la perpétration de son projet.
Il ressort encore de la décision référée ci-devant que la condition tirée d'un préjudice ou d'une possibilité de préjudice est respectée si l'écrit peut induire en erreur les tiers auxquels il est présenté ou s'il est possible que les tiers, mis en présence de cet écrit, conforment leur attitude sur le contenu.
Le tribunal estime que même si l'A.A.I. n'a pas procédé à l'indemnisation de son assuré, toujours est-il qu'il aurait très bien pu être possible que le prévenu ait été indemnisé sur base de la pièce communiquée, alors que les employés de l'A.A.I. ne sauraient de toute évidence procéder pour chaque dossier à des investigations approfondies. Ainsi, l'A.A.I. n'a dans le présent cas d'espèce refusé l'indemnisation qu'en raison du caractère manifestement manipulé de l'écrit versé par N..
Le tribunal vient donc à la conclusion que la condition d'une possibilité de préjudice est également donnée en l'espèce.
Le tribunal constate par ailleurs qu'un contrat de vente constitue une écriture privée au sens de l'article 196 et que l'écrit utilisé comporte une altération de la vérité, de sorte que toutes les conditions de l'infraction de faux en écritures se trouvent réunies.
Il n'y a par ailleurs pas été contesté qu'une copie de la facture altérée a été, le 13 avril 2000, présentée à l'A.A.I..
Il découle des développements qui précèdent que les préventions libellées de faux et usage de faux sont à retenir dans le chef du prevenu.
Il en résulte, ainsi que des développements faits ci-avant, que N. se trouve partant convaincu :
« comme auteur ayant lui-même commis l'infraction,
le 13 avril 2000 à Consdorf, au ...,
en infraction aux dispositions des articles 193, 196 et 197 du Code pénal,
avoir dans une intention frauduleuse et à dessin de nuire commis un faux en écritures privées, par altération d'écritures et par leur insertion après coup dans les actes et d'avoir fait usage de cet acte faux,
en l'espèce, dans une intention frauduleuse, avoir dans un contrat de vente de voiture conclu le 17 février 1998 à Consdorf ente F. et N., modifié le prix de vente payé en ajoutant devant le 9.000.- un chiffre « 4 » de sorte que le prix payé apparaissait comme étant de 49.000.- francs et d'avoir transmis par la voie postale une copie du contrat falsifié, précité, a l'Association d'Assurance contre les Accidents - Section Industrielle - en vue de l'indemnisation du dommage matériel subi lors d'un accident de trajet du 8 mars 2000. »
Lorsque le faussaire fait lui-même usage du faux, cet usage ne forme que le dernier acte et la consommation de l'infraction de faux. Il en suit que l'auteur du faux et de l'usage de faux ne commet qu'une seule infraction, l'ensemble des faits délictueux continués étant le résultat de la même intention criminelle (V. Cour, 6 juillet 1972, P 22, p. 167).
Les articles 196 et 197 du Code pénal comminent une peine identique de réclusion de cinq à dix ans de réclusion. Par ailleurs, l'article 214 vient sanctionner cette infraction par une peine additionnelle, à savoir une amende de 10.001.- à 800.000.- francs.
Par application de circonstances atténuantes, la chambre du conseil du tribunal de céans a décriminalisé l'infraction commise par N., de sorte que cette infraction est à considérer comme délit ab initio. D'après l'article 74 du Code pénal, la peine à prononcer sera celle de l'emprisonnement de trois mois au moins.
Dans l'appréciation du quantum de la peine d'emprisonnement à prononcer à l'égard du prévenu, le tribunal correctionnel tient compte d'une part de la gravité objective des faits mis à charge de N., et d'autre part de sa situation personnelle.
Les faits retenus à charge du prévenu se caractérisent avant tout par une légèreté qui est à qualifier d'inexcusable. Il s'agit ensuite d'éviter une propagation d'affaires analogues qu'une attitude trop indulgente pourrait engendrer.
Il est à retenir en faveur du prévenu que celui-ci aurait, d'un point de vue moral, pu se croire autorisé à commettre et à utiliser le faux alors qu'il avait évalué les réparations par lui effectuées au montant de 40.000.- francs. Le tribunal tient encore compte du jeune âge du prévenu et de l'absence d'antécédents judiciaires.
Le tribunal constate cependant qu'en l'espèce la condamnation à une peine d'emprisonnement ne constitue pas une sanction adéquate de sorte qu'il y a lieu de faire abstraction de la peine d'emprisonnement en application de l'article 20 du Code pénal.
Il y a dès lors lieu de prononcer contre le prévenu une amende.
Par ces motifs,
le tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, statuant contradictoirement, le prévenu N. et son mandataire entendus en leurs explications et moyens de défense et le représentant du ministère public entendu en ses réquisitions,
condamne le prévenu N. du chef de l'infraction retenue à sa charge à une amende de QUARANTE MILLE (40.000.-) francs, ainsi qu'aux frais de sa mise en jugement, ces frais étant liquidés à 442.- francs,
fixe la durée de la contrainte par corps en cas de non-paiement de l'amende à VINGT (20) JOURS.
Par application des articles 20, 28, 29, 30, 22, 66, 193, 196, 197, 213 et 214 du Code pénal, 179, 182, 184, 189, 190, 190-1 et 194 du Code d'instruction criminelle.
Ainsi fait et jugé par Michel REIFFERS, premier vice-président, Michèle KRIER, juge des tutelles et Lex EIPPERS, juge, et prononcé en audience publique le jeudi 17 mai 2001 au Palais de Justice à Diekirch par Michel RIFFERS, premier vice-président, assisté du greffier Alex KREMER, en présence de Pascal PROBST, substitut principal du Procureur d'Etat, qui a l'exception du représentant du ministère public ont signé le présent jugement.