TAL-10.07.1985

Thème(s)
Procédure juridictionnelle
Domaine(s)
Recours
Mot(s) clef(s)
Tiers responsable  | Qualité pour agir  | Intérêt à agir

Référence

  • TAL-10.07.1985
  • N.Rôle 29981
  • U197915149

Base légale

  • Art0284-CSS
  • Loi-16.06.1947
  • Art0061-CPC
  • Art0174-al02_CPC
  • Art0118-al03-CSS
  • Art0115-CSS
  • Art1794-CCIV

Sommaire

La décision par l'assurance accident ou les organes juridictionnels contrôlant ses décisions, de prendre en charge les suites dommageables d'un accident ne saurait être contestée par un tiers, fût-il le responsable de l'accident. Celui-ci n'a en effet aucun intérêt à le faire puisque, d'une part, l'assurance accident ne peut faire valoir contre le responsable plus de droits que ne le pourrait faire la victime directe, et que d'autre part la personne recherchée comme responsable peut faire valoir contre l'assurance accident les mêmes moyens de défense que contre la victime directe.

Corps

LE TRIBUNAL D'ARRONDISSEMENT DE ET A LUXEMBOURG :

Le 10 novembre 1979, vers 18 heures, en gare de Pétange, V., veuve de W., arrivant en train de Luxembourg, a été victime d'un accident lorsqu'elle descendait du dernier wagon qui, à cause de la longueur du train, n'était pas parvenu à hauteur du quai. En descendant, V. fut surprise par la différence de niveau et fit une chute lors de laquelle elle subit des blessures.

V. s'étant adressée à la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois en abrégé les C.F.L. pour obtenir réparation de son dommage, les C.F.L. et la victime ainsi que, comme partie intervenante, l'Association d'Assurance contre les Accidents en abrégé l'Assurance-Accidents ont chargé un collège d'experts avec la mission de chiffrer le dommage subi par V. lors de l'accident du 10 novembre 1979.

Les C.F.L. ont dans la suite indemnisé V..

L'Assurance-Accidents ayant reconnu l'accident comme accident de trajet, elle intervint dans les suites de l'accident jusqu'à concurrence de 322.071. francs. Elle s'adressa ensuite aux C.F.L. pour obtenir le remboursement de ses prestations.

Les C.F.L. contestant à l'égard de l'Assurance-Accidents toute responsabilité dans la genèse de l'accident et refusant tout paiement, l'Assurance-Accidents a, par exploit d'huissier du 29 avril 1983, fait donner assignation aux C.F.L. à comparaître devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg pour s'y entendre condamner au paiement de la somme de 322.071. francs avec les intérêts légaux.

RECEVABILITE:

Les C.F.L. soulèvent le défaut de qualité dans le chef de la demanderesse au motif que c'est au nom de " l'Association d'Assurance contre les Accidents, section industrielle " que l'exploit introductif d'instance a été lancé, alors qu'aux termes de l'article 283 du Code des assurances sociales, c'est " l'Association d'Assurance contre les Accidents " qui jouit de la personnalité civile.

Ce moyen n'est pas fondé. L'indication que c'est la section industrielle de l'Assurance-Accidents qui agit est superflue puisque la distinction entre section industrielle et section agricole de cet organisme de sécurité sociale est de nature purement administrative et n'a aucune incidence sur la qualité de la demanderesse dans une action en justice, puisque en vertu de l'article 283 du Code des assurances sociales il n'y a aucun doute possible que c'est l'Assurance-Accidents qui agit en justice.

Les C.F.L. soulèvent encore le défaut de qualité dans le chef de la partie défenderesse au motif que l'assignation a été lancée contre " la Société Nationale des Chemins de Fer Luxembourgeois établie et ayant son siège social à Luxembourg, Place de la Gare, resprésentée par le Président de son Comité directeur, actuellement en fonctions " alors que, par application de l'article 21 des statuts des C.F.L., approuvé par une loi du 16 juin 1947, cet organisme plaide en justice sous la dénonciation " CFL " poursuites et diligences de son conseil d'administration, representé par son Président.

Ce moyen, qui est un moyen de nullité de l'exploit introductif d'instance et non d'irrecevabilité pour défaut de qualité dans le chef de la partie défenderesse, n'est pas fondé non plus.

En effet, d'une part, l'article 61 du Code de procédure civile relatif aux mentions obligatoires des exploits d'ajournement n'exige, quant au défendeur, que l'indication de son nom et de son domicile. Il n'exige pas l'indication de l'organe qui représente la partie défenderesse lorsque celle-ci est une personne morale.

D'autre part, et de toute façon, l'indication inexacte des qualités du défendeur dans l'exploit introductif d'instance n'en entraîne pas la nullité, lorsque celui-ci ne pouvait pas se méprendre sur l'identité de la personne assignée et que, partant, ses intérêts ne sont pas atteints, ceci par application de l'article 173 al.2 du Code de procédure civile (cf.Lux.3 juin 1982, Teicher/Luxembourgeoise).

Par ailleurs, les conclusions prises par les CFL représentés " par le Président de son comité directeur actuellement en fonctions " ne sont pas nulles non plus.

Les CFL soulèvent ensuite l'irrecevabilité de la demande pour défaut d'intérêt dans le chef de la demanderesse. En effet celle-ci, pour lui réclamer le remboursement de ses déboursés se base sur ce que son assurée, la dame V., aurait été victime d'un accident de trajet fait non prouvé et contesté par les CFL.

Les droits de la victime contre le responsable d'un dommage passent, en vertu de l'article 118, alinéa 3 du Code des assurances sociales, à l'Assurance Accidents jusqu'à concurrence de ses prestations et pour autant qu'ils concernent des éléments de préjudice couverts par cette association.

La décision par l'Assurance-Accidents ou les organes juridictionnels contrôlant ses décisions, de prendre en charge les suites dommageables d'un accident ne saurait être contestée par un tiers, fût-il le responsable de l'accident. Celui-ci n'a en effet aucun intérêt à le faire, puisque, d'une part, l'Assurance-Accidents ne peut faire valoir contre le responsable plus de droits que ne le pourrait faire la victime directe, et que, d'autre part, la personne recherchée comme responsable peut faire valoir contre l'Assurance Accidents les mêmes moyens de défense que contre la victime directe.

Le moyen tiré du défaut d'intérêt à agir dans le chef de l'Assurance- Accidents, qui a effectué des déboursés pour 322.071. francs et est, par l'effet d'une cession légale, devenue titulaire des droits de la victime, est donc à écarter.

Les CFL opposent ensuite à l'Assurance-Accidents la fin de non-recevoir édictée par l'article 115, alinéa 1er du Code des assurances sociales en vertu duquel d'une part le personnel d'une même entreprise, et d'autre part le personnel d'entreprises différentes mais travaillant en même temps sur le même lieu, ne peuvent, sauf le cas d'une décision pénale, agir en responsabilité civile contre ces entreprises, respectivement leur personnel.

Comme V. a voyagé gratuitement au moyen de facilités de circulation dont elle n'a pu bénéficier qu'en sa qualité de veuve d'un agent CFL et comme ce dernier n'aurait pas disposé, en vertu de l'article précité, de recours contre son employeur, les CFL concluent à voir refuser également à sa veuve le droit d'agir, parce qu'elle ne saurait avoir plus de droits que son auteur. L'Assurance-Accidents ne disposant à son tour de plus de droits que son assurée, son action devrait être déclarée irrecevable.

Or, il ressort des pièces versées et des renseignements fournis qu'à l'époque de l'accident, V. travaillait comme vendeuse au magasin " Spielzeugparadies " à Luxembourg et était de ce fait, assurée propre de l'Assurance-Accidents.

Il s'ensuit que le raisonnement tendant à lui faire subir le sort qu'aurait eu feu son mari s'il avait eu un accident est à écarter.

En ordre subsidiaire, les CFL se prévalent de l'alinéa 2 de l'article 115 du Code des assurances sociales, aux termes duquel les conducteurs ou propriétaires de véhicules assujetties à l'assurance prescrite par les règlements de la circulation sur toutes les voies publiques, ainsi que leurs assureurs ou cautions sont responsables, sans les restrictions qui précèdent, toutes les fois qu'il s'agit d'un accident de trajet, ou que le conducteur ou le propriétaire du véhicule n'a pas la qualité d'employeur de la victime de l'accident.

Les CFL font plaider que cet alinéa ouvre, par exception à l'alinéa 1er, un droit d'agir aux victimes d'un accident de trajet lorsqu'il y a implication d'un véhicule dont le propriétaire est assujetti à l'assurance prescrite par les règlements de la circulation sur toutes les voies publiques. Par un raisonnement a contrario, ils en tirent la conclusion qu'au cas où l'assurance prescrite par les règlements de la circulation sur toutes les voies publiques n'est applicable ce qui est le cas pour les transports par chemins de fer les victimes d'un accident de trajet seraient privées de leur droit d'agir contre le tiers responsable.

Ce raisonnement a contrario par rapport à une exception est erroné. En effet, l'alinéa 2 de l'article 115 constitue une exception à l'alinéa 1er. Au cas où les conditions d'application de l'alinéa 2 ne sont pas données ce qui est le cas en l'espèce, comme l'affirme même la partie défenderesse dans son raisonnement l'article 1er, expression du droit commun retrouve son empire.

Comme en l'espèce, l'alinéa 2 n'est pas applicable et que l'alinéa 1er ne prive pas l'Assurance-Accidents de son droit d'agir, le moyen d'irrecevabilité tiré de l'article 115 du Code des assurances sociales n'est pas fondé.

La demande étant par ailleurs régulière en la forme, elle est recevable.

FOND:

La demande de l'Assurance-Accidents est basée principalement sur l'article 1784 du Code civil en vertu duquel le transporteur est responsable des accidents survenus aux voyageurs s'il ne prouve que ces accidents proviennent d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée.

Les CFL contestent l'existence d'un contrat de transport.

L'Assurance-Accidents verse aux débats l'extrait d'un rapport dressé le jour de l'accident par un chef de surveillance des CFL qui affirme que la dame V. était en possession d'un carnet de permis de circulation gratuite no.6553, pièce obtenue par l'Assurance-Accidents par l'intermédiaire de l'avocat d'V. qui, à son tour, en avait reçu communication par les CFL dans le cadre de son affaire d'indemnisation extrajudiciaire qui l'avait opposée aux CFL.

Ceux-ci s'opposent à la prise en considération de cette pièce en invoquant le secret des lettres.

Dès qu'une lettre missive ou autre pièce de nature à prouver en justice un fait entre régulièrement, c'est-à-dire sans abus, fraude ou artifice, en possession d'un tiers celui-ci peut s'en prévaloir ( v.Encyclopédie Dalloz, Droit civil, Vo Lettre missive, no.87 ).

En l'espèce les circonstances dans lesquelles l'Assurance-Accidents est entrée en possession de la pièce incriminée ne vaut pas constitution de fraude ou d'abus. Celle-ci peut partant en faire état.

Il se dégage de cette pièce qu'V. voyageait sous le couvert d'un permis de circulation gratuit.

Les CFL contestent ensuite avoir été liés à V. par un contrat. Selon leur point de vue, la délivrance d'un titre de transport gratuit ne crée à l'égard des CFL aucune obligation contractuelle.

S'il est vrai qu'en règle générale aucun contrat ne se forme entre un conducteur et celui qu'il transporte de façon bénévole, un transport même gratuit est à considérer comme contractuel dès lors que le transporteur a pris un engagement précis et ferme à l'égard du bénéficiaire. Tel est le cas notamment d'une compagnie de chemin de fer qui accepte de délivrer un titre de transport gratuit ( G.VINEY, La responsabilité, L.G.D.J.1982, no.184 et, en particulier, la note 14 ).

Il suit de ce qui précède qu'un contrat de transport existait entre les CFL et V. au moment de l'accident.

Par application de l'article 1784 du Code civil, précité, les deux seuls éléments que le transporté ait à prouver sont l'existence du contrat de transport et le fait que le transporté n'est pas arrivé sain et sauf à destination.

Lorsque comme en l'espèce - ces deux éléments sont établis, le voiturier ne peut échapper à la présomption de responsabilité que le législateur fait peser sur lui qu'en rapportant la preuve du cas fortuit, de la force majeure, du fait d'un tiers dont il ne doit répondre ou de la faute personnelle du sinistré ( Cour 27 mai 1963, p.19, 134 ).

Les CFL font valoir que l'accident serait dû à un comportement fautif d'V., qui, au lieu de rejoindre une autre voiture pour descendre, aurait préféré sauter sur les rails.

Le tribunal estime qu'V. n'a commis aucune faute ayant contribué à la réalisation de l'accident. Un 10 novembre vers 18.00 heures, moment auquel l'accident a eu lieu, il fait nuit. Un passager descendant d'un train arrivé en gare peut raisonnablement s'attendre à ce que le train s'est arrêté le long d'un quai, surtout que, comme le relèvent à juste titre, mais dans un autre but les CFL, la marche sur les rails est interdite. Ce sont les CFL qui, en laissant descendre des passagers à un endroit où il fait sombre et où il n'y a pas de quai, sans les en avertir spécialement, commettent une faute, et en aucun cas ses passagers qui ne font que subir son incurie.

Il suit de ce qui précède que les CFL n'ont pas réussi à prouver dans le chef d'V. une faute quelconque susceptible de les exonérer, ne serait ce que partiellement, de la présomption de responsabilité pesant sur eux.

Les CFL sont donc responsables de l'accident du 10 novembre 1979 et de ses suites dommageables.

Les montants réclamés par l'Assurance-Accidents sont contestés par les CFL.

Ils sont établis par pièces, notamment par un rapport d'expertise établi contradictoirement entre les CFL et l'Assurance-Accidents, même si c'est dans une autre affaire que la présente, et déposé le 25 janvier 1982, jusqu'à concurrence de 141.576. francs. Il y a lieu de condamner d'ores et déjà les CFL au paiement de cette somme. Pour le surplus, il y a lieu de faire droit à l'offre de preuve par expertise présentée par l'Assurance-Accidents.

 

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