CSSS-08.07.1998

Thème(s)
Accident du travail
Domaine(s)
Notion d'accident
Mot(s) clef(s)
AVC au lieu du travail  | Décès  | Présomption d'imputabilité  | Etat pathologique antérieur  | Preuve de la cause étrangère au travail  | Rapport d'autopsie

Référence

  • CSSS-08.07.1998
  • N° du reg.: G E 207/97
  • N°: 159/98
  • M.,veuve S. c/ AAI
  • U199702887

Base légale

  • Art0092-CSS

Sommaire

Le décès de l'assuré - suite à un infarctus du myocarde - est survenu sur le lieu et pendant le temps de travail de celui-ci, et est dès lors présumé être un accident du travail, sauf à l'organisme de sécurité sociale de rapporter la preuve que l'atteinte est due à une cause étrangère à l'emploi assuré.

En l'espèce, une affection pathologique préexistante - l'existence de lésions dégénératives vasculaires artério-scléreuses extrêmement marquées et l'existence d'une sténose totale de l'artère coronaire gauche - a été établie par le rapport relatif à l'autopsie médicale. Or, face aux circonstances dans lesquelles l'assuré est décédé et aux conditions de travail auxquelles il était confronté, non seulement le jour même de son décès, mais déjà depuis un certain temps l'ayant précédé et ayant requis de sa part l'effort de supporter le stress, et ce des semaines durant et sans interruption pendant les jours précédant immédiatement l'accident, ainsi que le déploiement de forces physiques intensives pour le déplacement sur un terrain de chantier très boueux, l'assurance accident reste en défaut de rapporter la preuve que le décès est dû à une cause totalement étrangère au travail. Le décès de l'assuré doit donc être considéré comme la suite d'un accident de travail et donne lieu à indemnisation.

Corps

N° du reg.: G E 207/97
N°: 159/98

AUDIENCE PUBLIQUE DU CONSEIL SUPERIEUR DES ASSURANCES SOCIALES

du huit juillet 1900 quatre-vingt-dix-huit

Composition:  
M. Georges Santer, président ff.
M. Julien Lucas, 1er conseiller à la Cour d'appel, assesseur-magistrat
Mme. Eliane Eicher, conseiller à la Cour d'appel, assesseur-magistrat
M. Henri Lallemang, maître-bottier, Esch-sur-Alzette, assesseur-employeur
M. Nicolas Bintz, employé privé, Schifflange, assesseur-salarié
M. Richard Trausch, secrétaire

 

ENTRE:

M., veuve S., demeurant à ...,

appelante,

comparant par maître Claude Collarini, avocat-avoué, demeurant à Luxembourg;

ET

l'Association d'assurance contre les accidents, section industrielle, dont le siège est à Luxembourg, représentée par le président de son comité-directeur, monsieur Paul Hansen, docteur en droit, demeurant à Luxembourg,
intimée,
comparant par monsieur Georges Kohn, attaché de direction 1er en rang, demeurant à Luxembourg.

Par requête déposée au secrétariat du Conseil supérieur des assurances sociales le 19 décembre 1997, M., veuve S., a relevé appel d'un jugement rendu par le Conseil arbitral des assurances sociales le 10 novembre 1997 dans la cause pendante entre elle et l'Association d'assurance contre les accidents, section industrielle, et dont le dispositif est conçu comme suit: Par ces motifs, le Conseil arbitral, statuant contradictoirement et en premier ressort, déclare le recours non fondé et confirme la décision entreprise.

Les parties furent convoquées pour l'audience publique du 24 juin 1998, à laquelle le rapporteur désigné, madame Eliane Eicher, fit l'exposé de l'affaire.

Maître Claude Collarini, pour l'appelante, conclut à la reconnaissance de la responsabilité de l'Assurance-accidents-industrielle.

Monsieur Georges Kohn, pour l'intimée, conclut à la confirmation du jugement du Conseil arbitral du 10 novembre 1997.

Après prise en délibéré de l'affaire le Conseil supérieur rendit à l'audience publique de ce jour, à laquelle le prononcé avait été fixé, l'arrêt qui suit:

Par jugement rendu contradictoirement entre les parties M. et l'Association d'assurance contre les accidents, section industrielle, le 10 novembre 1997, le Conseil arbitral des assurances sociales a débouté M. du recours par elle interjeté contre une décision de la commission des rentes de l'Association d'assurance contre les accidents du 26 mai 1997 ayant confirmé une décision présidentielle du 27 mars 1997 laquelle a refusé la prise en charge du décès de l'époux de la requérante, S., survenu le 15 février 1997 au motif qu'il n'est pas en relation causale avec l'activité assurée.

De cette décision M. a régulièrement relevé appel par requête entrée au secrétariat du Conseil supérieur des assurances sociales le 19 décembre 1997.

Par réformation de la décision entreprise elle conclut à voir dire «que l'accident survenu à Monsieur S. le 15 février 1997 constitue un accident du travail» et à voir renvoyer l'affaire devant la commission des rentes pour fixation des prestations.

L'appelante relève d'abord qu'il est constant en cause que S. est décédé sur le lieu de son travail du fait d'un infarctus qu'il a subi pendant les heures de travail, qu'il s'agit bien d'un accident professionnel, les conditions de l'article 92 du Code des assurances sociales étant remplies et tout accident qui se produit à l'occasion du travail étant en outre présumé être un accident du travail, sauf à l'organisme de sécurité sociale à rapporter la preuve que l'atteinte au corps humain est exclusivement due à une cause étrangère à l'emploi assuré.

Citant la motivation retenue par le Conseil arbitral des assurances sociales (« que de l'avis du médecin-conseil du Conseil arbitral, donné sur base de l'étude des pièces du dossier et notamment du rapport d'autopsie que l'assuré était atteint de lésions dégénératives vasculaires artério-scléreuses extrêmement graves ayant entraîné un infarctus massif du myocarde, lesquelles lésions artério-scléreuses extrêmement marquées ont été le facteur prépondérant dans la cause du décès et que l'infarctus aurait pu se produire aussi bien au repos et à la maison et aurait donc pu se produire à tout moment de l'activité quotidienne de l'assuré») M. conteste le bien-fondé de la dernière considération.

Elle fait valoir qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que l'infarctus que S. a subi était imminent et qu'il se serait de toute façon produit ce jour-là même s'il n'avait pas fait les efforts extraordinaires sur son lieu de travail, que S. a été soumis, tant les jours ayant précédé l'accident que le jour même à un rythme de travail ainsi qu'à des conditions de travail extrêmement pénibles ayant requis l'accomplissement d'efforts extraordinaires, que cet état des choses a certainement été la cause déterminante se trouvant à l'origine de la crise cardiaque fatale subie par S. ce jour-là.

L'intimée conclut à la confirmation de la décision de première instance.

Reconnaissant l'existence d'une présomption de responsabilité à sa charge, l'Association d'assurance contre les accidents estime avoir rapporté la preuve d'une cause étrangère, à savoir un état pathologique préexistant.

Elle fait plaider que l'accident s'est produit par hasard sur le lieu de travail et que l'activité professionnelle de S. n'a pas contribué de façon aggravante à l'état de l'assuré.

Suivant déclaration faite par la société employeuse M. à l'Association d'assurance contre les accidents, S. est décédé le 15 février 1997 à 8,15 heures sur un chantier à Volmerange-les-Mines (F), il s'est effondré, ceci suite à une crise cardiaque et est décédé sur place.

Le certificat de décès fut établi par le docteur Michel Rebstock de Volmerange-les-Mines.

A la demande de l'Association d'assurance contre les accidents une autopsie médicale fut faite par le docteur Stéphan Kowalski de Metz.

Dans la conclusion de son rapport déposé le 24 mars 1997 le médecin retient: «L'examen autopsique de Monsieur S. a révélé l'existence de lésions dégénératives vasculaires artério-scléreuses extrêmement marquées. L'examen du coeur a révélé l'existence d'une sténose totale de l'artère coronaire gauche à 1,5 cm de son origine ayant entraîné un infarctus massif du myocarde. Cet infarctus a été la cause du décès de monsieur S.»

Aux termes de l'article 92, alinéa premier du Code des assurances sociales: «On entend par accident professionnel celui qui est survenu à un assuré par le fait du travail ou à l'occasion de son travail».

Sur base des conclusions prises par l'intimée: il y a lieu de retenir que celle-ci ne conteste pas la présomption d'imputabilité dont la jurisprudence fait bénéficier la victime qui, si elle doit apporter la preuve d'une lésion au temps et au lieu de travail, se trouve, en revanche, dispensée de la charge de la preuve des éléments constitutifs de l'accident du travail. (cf. JCL Sécurité sociale, Accidents du travail, fasc. 310, nos 99 s., 107s.).

Il est constant en cause que le décès de S. est survenu sur le lieu et pendant le temps de travail de celui-ci, donc à l'occasion du travail.

Il est dès lors présumé être un accident du travail, sauf à l'organisme de sécurité sociale de rapporter la preuve que l'atteinte est due à une cause étrangère à l'emploi assuré. (cf. Cass. no. 16/93, 22 avril, 1993, no. 1035 du registre).

Une affection pathologique préexistante - l'existence de lésions dégénératives vasculaires artério-scléreuses extrêmement marquées et l'existence d'une sténose totale de l'artère coronaire gauche - est établie par le rapport relatif à l'autopsie médicale.

Faisant valoir que s'il y a eu pathologie préexistante, les efforts que S. a dû faire et les conditions de travail auxquelles il était exposé ont été la cause déterminante du décès, l'appelante verse une attestation testimoniale délivrée par M., chef de chantier et proche collaborateur de S. au sein de l'entreprise M., le dix octobre 1997 et qui est de la teneur suivante:

«Le samedi 15 février 1997 Monsieur S. est arrivé sur le chantier à 7,30 heures; après avoir salué le personnel présent il a pris la direction du lieu de déchargement des camions éloigné d'environ 800 m. Les déplacements à pied sur le chantier étaient rendus pénibles suite aux conditions atmosphériques (fortes précipitations des jours précédents). L'eau et la terre mélangées formaient une boue où l'on enfonçait jusqu'à la hauteur des bottes. C'est avec difficultés dans ces conditions qu'il gravit le talus le séparant encore de la décharge. Il fit encore quelques dizaines de mètres avant de s'écrouler terrassé. Le chauffeur d'un camion le découvrit plusieurs minutes après, étendu face contre terre dans la boue.

Professionnellement les semaines précédentes ont été difficiles pour lui, notamment le week-end du 8 au 9 février où pour des raisons techniques il dut travailler durant deux postes de 8 heures chaque jour. Le voyant régulièrement pendant cette période, il me faisait part du mal qu'il avait pour récupérer tant au point de vue physique qu'au niveau de la gestion du stress engendré par son travail.»

Si dans son avis le médecin-conseil du Conseil arbitral a noté que «l'infarctus du myocarde est un événement plurifactoriel et la marche à pied, même sur un terrain boueux, ne peut être considéré comme un risque de travail particulier», il n'a d'abord pas pour autant exclu cet effort comme cause, sinon comme cause partielle de l'infarctus du myocarde. Il n'a pour le surplus pas pris position quant au surmenage professionnel de S. durant les semaines ayant précédé son décès et tel que décrit par le témoin M.

Face aux circonstances dans lesquelles S. est décédé et aux conditions de travail auxquelles il était confronté, non seulement le jour même de son décès, mais déjà depuis un certain temps l'ayant précédé et ayant requis de sa part l'effort de supporter le stress, et ce des semaines durant et sans interruption pendant le week-end du 8 au 9 février, ainsi que le déploiement de forces physiques intensives pour le déplacement sur le terrain du chantier très boueux, l'intimée reste en défaut de rapporter la preuve que le décès est dû à une cause totalement étrangère au travail. (cf. JCL Sécurité sociale, Accidents du travail, fasc. 310, nos 107, 108, 119; CSAS, no 147/93 du 27 octobre 1993 Kisch c/AAA; CSAS n° 92/93 du 26 mai 1993 Corthouts c/AAA).

Il s'ensuit que par réformation du jugement entrepris il y a lieu de dire que le décès de S. est la suite d'un accident de travail subi par le défunt le 15 février 1997 et donnant lieu à indemnisation par l'intimée.

Par ces motifs,

statuant sur le rapport oral de l'assesseur-magistrat délégué et les conclusions contradictoires des parties à l'audience,

reçoit l'appel,

le dit fondé

réformant:

dit que le décès de S. est la suite d'un accident de travail subi par le défunt le 15 février 1997 et donnant lieu à indemnisation par la partie intimée,

renvoie l'affaire devant la commission des rentes pour la fixation des prestations revenant à Michèle M..

La lecture du présent arrêt a été faite à l'audience publique du 8 juillet 1998 par le Président du siège Monsieur Georges Santer, en présence de Monsieur Richard Trausch, secrétaire.

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