GRAND- DUCHE DU LUXEMBOURG
No. du reg.: G 2006/0091No.:2007/0035
CONSEIL SUPERIEUR DES ASSURANCES SOCIALES
Audience publique du quatorze février deux mille sept
Composition: |
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Mme Edmée Conzémius, 1er conseiller à la Cour d'appel | président |
M. Marc Kerschen, 1er conseiller à la Cour d'appel, | assesseur-magistrat |
M. Camille Hoffmann, conseiller à la Cour d'appel, | assesseur-magistrat |
M. Henri Goedert, docteur en droit, Luxembourg, | assesseur-employeur |
M. Marcel Rraus, ouvrier de l'Etat, Leudelange, | assesseur-salarié |
M. Francesco Spagnolo, | secrétaire |
ENTRE:
l'Association d'assurance contre les accidents, section industrielle, dont le siège est à Luxembourg, représentée par le président de son comité-directeur, Monsieur Paul Hansen, docteur en droit, demeurant à Luxembourg, appelante,
comparant par Madame Linda Schumacher, attaché de direction, demeurant à Luxembourg;
ET:
L., née le ..., demeurant à ..., veuve de T., né le ... et décédé le ...9,
intimée,
assistée de Maître Claudie Henckes-Pisana, avocat-avoué, demeurant à Luxembourg.
Par requête déposée au secrétariat du Conseil supérieur des assurances sociales le 16 juin 2006, l'Association d'assurance contre les accidents, section industrielle, a relevé appel d'un jugement rendu par le Conseil arbitral des assurances sociales le 28 avril 2006, dans la cause pendante entre elle et L., et dont le dispositif est conçu comme suit:
Par ces motifs, le Conseil arbitral des assurances sociales, statuant contradictoirement et en premier ressort, vidant les jugements avant dire droit du 4 novembre 2003 et du 26 novembre 2004, quant au fond, déclare le recours fondé et y fait droit:
dit que par réformation de la décision attaquée, feu Monsieur T.a subi le 17 mai 1999 un accident du fait du travail au sens de l'article 92 du Code des assurances sociales, et renvoie l'affaire et prosécution de cause devant l'Association d'assurance contre les accidents.
Les parties furent convoquées pour l'audience publique du 31 janvier 2007, à laquelle Madame le président fit le rapport oral.
Madame Linda Schumacher, pour l'appelante, maintint les moyens et conclusions de la requête d'appel déposée au siège du Conseil supérieur le 16 juin 2006.
Maître Claudie Henckes-Pisana, pour l'intimée, conclut à la confirmation du jugement du Conseil arbitral du 28 avril 2006.
Après prise en délibéré de l'affaire le Conseil supérieur rendit à l'audience publique de ce jour, à laquelle le prononcé avait été fixé, l'arrêt qui suit:
T., qui était né le 22 juin 1951, est décédé, selon certificat médical, d'un infarctus du myocarde en date du 17 mai 1999 vers 22h45 à son domicile, après avoir travaillé de 14h00 à 22h00 auprès de la S.A. du Train à Fil d'Esch-Schifflange où il avait été délégué en sa qualité d'employé d'Unimétal.
Le 6 mars 2002, L., veuve de T., a introduit une demande auprès de l'Association d'assurance contre les accidents, section industrielle, en vue de la reconnaissance du décès de T. comme accident du travail.
L'Association d'assurance contre les accidents a refusé la prise en charge sur le fondement de l'article 92 du code des assurances sociales au motif que l'incident s'est produit au domicile de l'assuré et n'est pas survenu par le fait du travail, ni à l'occasion du travail, ni sur le parcours effectué pour se rendre à son domicile.
Saisi d'un recours, le Conseil arbitral des assurances sociales avait institué une expertise à diligenter par le professeur Antoine LEENHARDT, médecin spécialiste en cardiologie au Centre Hospitalo-Universitaire de Lariboisière à Paris, en chargeant l'expert de la mission suivante:
« a) d'examiner le dossier médico-administratif concernant feu Monsieur T., victime d'un infarctus du myocarde létal du 17 mai 1999,
b) d'examiner en particulier les circonstances de survenue de sa crise d'angor,
c) d'émettre un avis motivé, détaillé et circonstancié sur les questions suivantes:
c.1.eu égard aux antécédents cardiologiques et cardiochirurgicaux du décédé, l'infarctus du myocarde létal a-t-il été causé exclusivement par les contraintes du milieu du travail tout en différenciant entre contrainte physique et contrainte psychique?
c.2.la personnalité psychologique particulière du décédé, telle qu'elle ressort des témoignages, a-t-elle contribué à la genèse de cet infarctus?
c.3.quel est, selon les acquis actuels de la science médicale, la probabilité que cette personnalité aurait à elle seule suffi pour provoquer l'infarctus létal, hormis tout effort ou stress physique?
c.4.quel est le degré de capacité physique maximal auquel l'organisme humain peut encore faire face après un passé cardiologique et cardiochirurgical tel que l'a présenté le défunt; le décédé a-t-il été médicalement apte à satisfaire aux exigences physiques de son activité professionnelle? »
Les premiers juges avaient également fait injonction à Unimétal de déposer une description de l'emploi et des tâches assignées à l'époque des faits à son salarié, mentionnant les tâches à accomplir, les horaires et les responsabilités.
L'expert conclut comme suit:
« En réponse aux questions qui m'ont été posées, compte tenu des éléments du dossier médico-administratif et de l'entretien avec Madame L., veuve T., les réponses suivantes peuvent être portées ce jour:
- l'infarctus du myocarde létal est consécutif à la fois aux antécédents de Monsieur T. qui était porteur d'une coronaropathie relativement sévère et aux contraintes professionnelles sans qu'il ait été possible d'évaluer de manière précise les contraintes psychiques liées à son activité professionnelle, faute de document en attestant et de contact direct avec ses anciens collègues.
- la psychologie du patient peut avoir contribué à la non détection d'une aggravation de sa coronaropathie dans la mesure où il était très inquiet de perdre son poste et qu'il n'a pas effectué tous les examens cardiologiques qui lui avaient été conseillés alors même qu'il continuait à avoir des douleurs thoraciques pratiquement quotidiennes, la probabilité que la personnalité seule de l'intéressé soit suffisante pour provoquer un infarctus est très faible. C'est tout un ensemble de facteurs, comprenant outre la personnalité, la présence de la coronaropathie, des stress physiques et psychiques, qui se conjuguent pour contribuer malheureusement à l'issue fatale.
- après un examen de médecine du travail réalisé au début de l'année 1999, le patient avait été considéré comme médicalement apte à satisfaire aux exigences physiques de son activité professionnelle. Néanmoins, la réalisation d'efforts importants, lui avait été interdite. Il semble bien que, en dehors de la surveillance des machines automatisées, il y avait de temps à autre, à l'occasion d'incidents, comme ceux qui se sont produits le 17 mai 1999, des efforts physiques relativement importants à fournir. Il n'a pas été possible d'obtenir des renseignements fiables sur la nature et l'intensité de ces efforts physiques afin de déterminer si cette activité physique respectait le cadre autorisé dans le cas particulier de Monsieur T.. »
Par lettre du 22 décembre 2004, l'employeur précisa que T. occupait un poste d'ouvrier dans le secteur « Fabrication-Expédition/Parachèvement » de couronnes de fils d'acier laminé (fils d'acier de diamètre de 5,5 à 17 voire 19 mm pour un poids couronne de 2,5 tonnes max.) Un organigramme joint précise l'activité du poste indiqué. La dernière fiche d'examen médical qui devait venir à expiration en février 2000 établissait la capacité de travail de l'ouvrier pour les postes et activités actuels et avec restrictions pour d'autres postes notamment pour ce qui est du travail en hauteur, pour la protection respiratoire lourde et pour les efforts physiques importants.
Par son jugement du 28 avril 2006, le Conseil arbitral des assurances sociales a retenu sur base de l'expertise qu'il existerait des indices graves, précis et concordants que suite au circonstances et conditions de travail du 17 mai 1999, la victime a subi une ischémie myocardique sur le lieu et au temps du travail et que l'infarctus du myocarde est en relation directe et immédiate avec cette atteinte cardiovasculaire survenue par le fait ou à l'occasion du travail en raison d'une cause partiellement extérieure à l'organisme de la victime, à savoir la réalisation d'efforts sortant de l'ordinaire dans des conditions de travail pénibles incompatibles avec les contre-indications médicales. Les premiers juges ont en conséquence reconnu l'existence d'un accident de travail dans le chef de T..
Ce jugement, notifié le 12 mai 2006, a été entrepris par l'Association d'assurance contre les accidents par recours déposé le 16 juin 2006. L'appelante conclut à la réformation du jugement entrepris et au rétablissement de la décision de la commission des rentes.
A l'appui de son recours l'appelante invoque l'article 92 du code des assurances sociales pour faire valoir que l'accident ne se serait produit ni sur le lieu de travail, ni pendant le temps de travail, ni pendant le trajet au domicile. Aucun fait accidentel ou incident particulier n'aurait été, à l'époque, signalé ou déclaré à l'employeur et aucune déclaration d'accident n'aurait été effectuée. Le mécanisme de la présomption de l'article 92 du code des assurances sociales ne s'appliquerait pas. La charge de la preuve reposerait sur la demanderesse. Or, la veuve n'aurait pas établi que le décès de son époux trouve son origine dans l'exécution du travail. Les attestations testimoniales produites en cause seraient trop vagues et encore contredites.
L'appelante reproche subsidiairement aux premiers juges de n'avoir pas déterminé la cause exacte du décès, ni d'avoir recherché les circonstances et conditions contraignantes du travail, néanmoins invoquées. Le certificat du docteur LEBRUN établissant un infarctus du myocarde n'aurait été établi que neuf mois après l'accident sans autopsie préalable. A défaut de connaître avec certitude la cause exacte du décès, il serait impossible de dire à quel moment cette cause est apparue et si elle est en relation avec l'activité professionnelle. A ceci s'ajouterait que la preuve certaine des circonstances et conditions contraignantes du travail ne serait pas rapportée. L'expert n'aurait émis à ce sujet que des suppositions et ne se serait renseigné ni auprès de l'employeur ni d'un supérieur hiérarchique.
En cas d'expertise complémentaire, il faudrait demander à l'expert si le dossier contient des éléments qui permettent d'affirmer que la cause du décès est effectivement un infarctus du myocarde ou s'il existe d'autres causes susceptibles d'avoir été à l'origine de la mort subite de T..
Selon l'article 92 du code des assurances sociales, on entend par accident professionnel celui qui est survenu à un assuré par le fait du travail ou à l'occasion du travail et toute lésion survenue soudainement au temps et sur le lieu de travail est présumée résulter d'un accident du travail, sauf à la sécurité sociale de rapporter la preuve que l'atteinte est due à une cause étrangère à l'emploi assuré (Cass. 22-4-1993, Kisch c/AAA).
Tout accident qui se produit par le fait ou à l'occasion du travail est partant présumé être un accident du travail.
Il appartient au demandeur en réparation d'établir que l'accident est survenu dans le cours de l'exécution de son contrat de travail. Lorsque ce fait est établi, et seulement dans ce cas, il y a présomption que l'accident est survenu par le fait de l'exécution du contrat.
En l'espèce, T. est décédé non pas sur son lieu de travail, mais à son domicile trois quarts d'heure après avoir cessé son travail.
La présomption instituée par l'article 92 du code des assurances sociales ne saurait donc jouer. Il appartient en conséquence à la veuve, demanderesse de prestations de la part de la sécurité sociale, d'établir que l'accident a été causé par le fait du travail ou à l'occasion du travail.
L'accident est généralement défini comme étant une atteinte au corps humain provenant de l'action soudaine et violente d'une force extérieure (Cass 2 avril 1993, P. T. 29. p. 214). S'il est vrai qu'un accident du travail requiert notamment l'existence d'un événement soudain causant une lésion, il n'est néanmoins pas exigé, en matière d'accident du travail, que se distingue de l'exécution du contrat de travail l'élément particulier de l'exercice habituel et normal de la tâche journalière qui a pu provoquer la lésion et qui peut être décelé.
En d'autres termes, l'exercice habituel et normal de la tâche journalière peut être un événement soudain à la condition que, dans cet exercice, puisse être décelé un élément qui a pu produire la lésion. (Cass. belge (3e ch., F.), 20 janvier 1997, Cassation Larcier 1997 no 583 et ss.).
En l'espèce, il est établi par les déclarations testimoniales et par le rapport d'expertise que T. présentait des douleurs thoraciques pratiquement quotidiennes. Il en fut de même le 17 mai 1999. Malgré ces douleurs, il gardait néanmoins la capacité de travail requise pour son activité qui consistait essentiellement à commander à partir de sa cabine une compacteuse de couronnes de fils. Ce travail se faisait en principe automatiquement et ce n'était qu'en cas de panne que l'ouvrier devait travailler manuellement. Les conditions de travail, le jour de l'accident, sont décrites de façon vague par les collègues de travail dont la déclaration relative aux conditions météorologiques est en outre contredite par le service météorologique.
Le dossier médical établit de nombreux facteurs de risque cardiovasculaire: diabète de type 2, hypertension artérielle, surpoids (102 kg - 1m70), dyslipidémie et antécédents familiaux (deux frères avaient présenté un infarctus du myocarde), coronaropathie depuis 1992, hypertrophie venticulaire gauche, coronarographie en 1996, resténose et nouvelle coronarographie, angioplastie et resténose en mars 1997, cardiopathie hypertrophique.
Il n'est, selon le rapport d'expertise, pas établi que le decujus ait subi une ischémie myocardique. Elle reste en état de pure hypothèse, insuffisante en droit pour retenir une relation causale entre le travail et le décès. Aucune autopsie n'avait été pratiquée. Le certificat médical retenant un infarctus du myocarde n'a été établi que le 7 février 2000. Le Conseil supérieur des assurances sociales ignore les considérations qui ont amené le médecin à déterminer la cause du décès: ses conclusions sont formellement contestées.
Il se dégage de cette analyse que c'est à tort que les juges du premier degré rattachent le décès de feu T. à un infarctus du myocarde, aucune preuve concrète n'étant établie par les pièces du dossier et par l'expertise. C'est encore à tort qu'ils ont retenu comme étant avérées des conditions météorologiques difficiles et une sollicitation sur son lieu de travail de la victime au-delà de la normale, dès lors que les conditions du travail le jour de l'accident restent pour la majeure part inconnues.
Vu le temps qui s'est écoulé entre le jour du décès et la présente instance (huit ans) le Conseil supérieur des assurances sociales estime inopportun d'entendre les témoins afin d'obtenir des précisions sur le déroulement de la journée de travail. Une audition des collègues de travail ne permettra d'ailleurs pas de connaître la cause exacte du décès.
La décision entreprise est à réformer.
Par ces motifs,
le Conseil supérieur des assurances sociales,
statuant sur le rapport oral de son président et contradictoirement à l'égard des parties en cause,
reçoit l'appel en la forme, le dit fondé,
REFORMANT:
dit la demande deL. de prise en charge du décès de T.non fondée,
rétablit la décision de la commissionn des rentes du 28 mars 2003.
La lecture du présent arrêt a été faite à l'audience publique du 14 février 2007 par Madame le Président Edmée Conzémius, en présence de Monsieur Francesco Spagnolo, secrétaire.
Le Président, signé: Conzémius
Le Secrétaire, signé: Spagnolo