TAL-17.12.1986

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Réévaluation  | Possibilité de cumul  | Rente de veuve  | Evaluation in concreto  | Perte de soutien pécuniaire  | Préjudice de droit commun  | Frais funéraires  | Limitation du recours à 80 %

Référence

  • TAL-17.12.1986
  • N. 609/86
  • Numéro 34 267 du rôle.
  • L198200926

Base légale

  • Art0118-al04-CSS
  • Art0097-al02-CSS
  • Art0107-al01-SSS
  • Art0020-al05-Loi 03.09.1956
  • Art0234-al06-CSS
  • Art1382-CCIV

Sommaire

Les frais funéraires constituent une dépense actuelle dont il n'y a pas lieu de déduire un certain montant au motif que les frais auraient de toute façon dû être engagés dans un avenir plus ou moins lointain.

Le préjudice de droit commun d'une veuve consiste dans la perte de soutien pécuniaire que son mari lui accordait de son vivant, ce préjudice est à évaluer in concreto sans qu'il soit permis de compenser la perte de soutien pécuniaire de l'épouse avec la rente de veuve. Il est donc possible de cumuler l'indemnité pour perte du soutien découlant de la pension-vieillesse du mari et la rente de veuve.

Corps

DOMMAGE MATERIEL

1. Les experts ont proposé de ne mettre à charge du F. que l'anticipation des frais funéraires, en ce sens que les frais funéraires auraient de toute façon été à charge de la famille J. à la date du décès théorique de J., et que seuls les frais dus au décès prématuré seraient à charge de l'assurance. Les consorts J. font valoir qu'il s'agirait de dépenses diverses actuelles devant être mises dans leur totalité à charge du tiers responsable. Les frais d'obsèques constituent dans leur totalité une charge due à l'événement dommageable ayant entraîné le décès de la victime, et doivent donc être supportés en entier par l'auteur responsable de l'accident. C'est une dépense actuelle dont il n'y a pas lieu de déduire un certain montant au motif que ces frais auraient de toute façon dû être engagés dans un avenir plus ou moins lointain (cf. Y. Chartier, La réparation du préjudice no 189).

Il y a partant lieu de condamner le F. à la réparation de l'intégralité des frais funéraires exposés par les consorts J., moins l'indemnité funéraire touchée par l'Assurance-Accidents, à savoir 82.032, francs.

2. Les experts ont déduit, pour besoins personnels de la victime, un tiers tant sur la perte de son activité lucrative que sur la perte de sa rente vieillesse, et arrivent à un chiffre de 11.970, francs par mois qu'il y aurait lieu de déduire de la perte de revenus de J.. Les consorts J. n'admettent qu'un montant mensuel correspondant à un tiers de l'activité lucrative, soit 5.951, francs à arrondir 6.000, francs.

D'une part, le fait que les besoins personnels d'un agriculteur d'un certain âge sont peu importants, et se situent en-dessous de la moyenne des personnes touchant une rémunération du fait de leur travail, se vérifie souvent et ne saurait être sérieusement contesté. Le tribunal évalue à 25% la quote-part de la rémunération servant à satisfaire ses besoins personnels.

D'autre part, s'il est vrai qu'en cas d'augmentation des revenus, en l'espèce, par une rente-vieillesse venant s'ajouter aux revenus de ses activités lucratives, les dépenses destinées aux besoins personnels augmentent également, c'est tout de même dans une proportion moindre que l'augmentation des revenus, en raison des habitudes prises qui ne changent guère chez un agriculteur de 66 ans. Le tribunal estime ce taux à 10%.

Il s'en dégage qu'il y a lieu de défalquer, du chef de besoins personnels, 25% des revenus de l'activité lucrative de J. et 10% de sa rente-viellesse.

3. Pour déterminer l'indemnité revenant à F. du chef de perte des revenus de son mari, les experts déduisent du revenu de J. le montant de la rente de veuve touché par F., ce à quoi celle-ci s'oppose.

Lorsque le préjudice de droit commun d'une veuve consiste dans la perte de soutien pécuniaire que son mari, décédé à la suite d'un accident, lui accordait de son vivant, ce préjudice est à évaluer in concreto, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ce soutien trouvait sa source dans un salaire ou dans une rente de vieillesse ou d'invalidité du mari et sans qu'il soit permis de compenser la perte de soutien de l'épouse avec la rente de veuve qui lui est personnellement allouée après le décès du mari. En effet cette prestation est la contre-partie des versements effectués antérieurement, et trouve sa cause non dans l'accident, mais dans l'affiliation de la victime à la Sécurité Sociale. Il est donc possible de cumuler l'indemnité pour perte du soutien découlant de la pension-vieillesse du mari et la rente de veuve. (cf. Cour 29 juin 1938, P. 14, 205; Cass. 28 novembre 1974, P. 23, 2; Cour d'appel 17 juin 1981, Feuille de liaison de la conférence Saint-Yves no 53, p. 38; Cass. 14 janvier 1982, P. 25, 208).

Il y a partant lieu de redresser les calculs des experts en ne retranchant pas la rente de veuve du montant alloué à titre de perte des revenus du mari.

4. Les experts ont évalué le revenu agricole annuel net de l'exploitation J. à 482.000, francs. Faute de comptabilité tenue en due forme, les experts se sont basés sur des données tirées du "Rapport sur l'Agriculture et la Viticulture" édité annuellement par le Ministère de l'Agriculture. Le F. leur reproche de n' avoir de cette façon pas procédé à une détermination in concreto du revenu de l'exploitation J..

Ce reproche n'est pas fondé. Les experts ont pris en considération toutes les données conrètes disponibles concernant la ferme J.; son étendue, son cheptel, son parc de machines, et c'est à partir de ces éléments qu'ils ont déterminé le revenu de cette exploitation, en se référant au revenu annuel moyen des exploitations de même envergure.

Le tribunal estime que l'évaluation ainsi faite l'a été de façon adéquate par rapport aux données disponibles. D'ailleurs, le chiffre obtenu semble assez modeste, car il est de moins de 500.000, - francs et fait vivre une famille de cinq membres. Les intérêts du F. n'en sont donc pas lésés.

Le F. critique ensuite la détermination de la part prise personnellement par J. dans l'exploitation de la ferme, les experts s'étant basés sur les déclarations de gens "dignes de foi". S'il est vrai, comme il vient d'être dit, que les experts n'ont pas le droit de se renseigner de façon unilatérale auprès de tiers, en dehors de la présence des parties, leur rapport n'encourt cependant la nullité que si ces déclarations constituent la base unique de leurs conclusions.

En l'espèce, pour arriver à une part de 0,8 UTH (Unité-Travail-Homme) du travail personnel de J. par rapport au total du travail presté à la ferme, évalué à 1,8 UTH, soit à une proportion de 44%, les experts donnent, outre la description des capacités de J., une énumération des autres membres travaillantà la ferme, à savoir la femme du défunt (0,2 UTH), qui, vu ses occupations ménagères, ne peut contribuer que dans une mesure modeste aux travaux d'exploitation de l'entreprise agricole, ainsi que le fils J. et le beau-frère F. qui tous les deux ne disposent pas d'une bonne santé et ne peuvent pas compter comme main-d'oeuvre complète, de sorte que les experts leur attribuent à chacun une part de 0,4 UTH.

La part prise par J. n'a partant pas été déterminée à partir des seules déclarations de tiers, somme toute, banale comme quoi le défunt était avant son décès en bonne santé pour assurer la part la plus importante des travaux de la ferme, mais également par la juxtaposition de J. et des autres personnes travaillant à la ferme.

Eu égard à tous les éléments pris en considération par les experts, le tribunal estime comme réaliste le taux de 44% représentant la part prise par J. dans l'exploitation de sa ferme.

De toute façon, les experts arrivent à un salaire annuel bien modeste de 214.222, francs qui n'est nullement à considérer comme exagéré.

DOMMAGE MORAL

1. Les experts évaluent le dommage moral subi par J. du fait des douleurs endurées avant sa mort, et qui est passé dans le patrimoine de ses héritiers, à 75.000, francs. Le F. s'oppose à toute indemnisation de ce chef au motif qu'il ne serait pas prouvé que J. ait eu un moment de conscience entre le sinistre et la mort.

Cette allégation n'est pas vraie. Les experts retiennent en effet qu'après l'accident Monsieur J. n'avait pas perdu connaissance, et a beaucoup souffert de ses lésions squelettiques. Il était pleinement conscient de la gravité de ses lésions et du danger de mort imminente.

Eu égard à ces constatations, le montant indemnitaire de 75.000, francs est approprié.

2. Les experts proposent les montants suivants à titre d'indemnisation du dommage moral pour perte d'un être cher: veuve F. : 300.000, francs

J.F., beau-père, M. F., belle-soeur et P. F., beau-frère : 30.000, francs

Ils estiment en outre que F. épouse de C. J., n'a pas droit à indemnisation du chef de la perte d'un être cher.

Le F. accepte les conclusions des experts relatives à J. M.et P.F.ainsi qu'à J.F. En revanche, il estime que, vu l'âge du couple, 220.000, francs sont suffisants pour F., et que le montant à allouer à chacun des enfants ne devrait pas excéder 120.000, francs. Les demandeurs sont d'accord avec les montants proposés par les experts, sauf en ce qui concerne J., M. et P. auxquels il y aurait lieu d'allouer 40.000, francs et J. F. qui serait à indemniser à raison de 35.000, francs.

Le tribunal estime que les montants proposés par les experts sont adéquats. En particulier, le fait que le couple J.-F.ait eu, déjà un certain âge lors de l'accident de J. ne saurait faire présumer que le chagrin d'F. de perdre son mari en aurait été diminué. Le tribunal est également d'avis que J. F. n'a pas droit à indemnisation étant donné, comme le relèvent à bon droit les experts qu'elle n'est entrée dans la famille de J. que le 1er mai 1982, donc quelque mois seulement avant l'accident, et qu'elle n'a jamais cohabité avec la victime.

RECOURS DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE

1. Les demandeurs reprochent aux experts d'avoir omis de limiter le recours de l'Assurance-Accidents du chef de la rente de veuve à 80%. L'Assurance-Accidents s'oppose à cette limitation au motif que l'article 118, alinéa 4 du code des Assurances sociales, applicable en l'espèce, viserait uniquement les rentes qu'une victime d'un accident de travail peut toucher de son vivant et non les rentes de veuve payées par l'Assurance-Accidents le cas d'un accident mortel.

Aux termes de l'article 118, alinéa 4 du Code des Assurances Sociales, les droits que les assurés ou leurs ayants droit peuvent faire valoir contre le tiers du chef de perte de revenu passent à l'Association d'assurance, jusqu'à concurrence de cent pour cent en ce qui concerne l'indemnité pécuniaire allouée conformément à l'article 97, alinéa 2,2 et l'allocation ménagère prévue par l'article 107, alinéa 1er et jusqu'à concurrence de quatre-vingts pour cent en ce qui concerne les autres prestations en espèces.

Il se dégage de cette dispositon légale que le recours à 100% de l'Assurance Accidents est limité aux seuls cas d'indemnité pécuniaire payée à l'assuré pendant 13 semaines au maximum, suite à une blessure ou une maladie, et d'allocation ménagère payée pendant la même période, dans les mêmes conditions, à ses ayants droit.

En l'espèce, l'indemnité sujette au recours ne rentrant dans aucune des deux catégories spécialement visées par l'article précité, le droit de recours de l'Assurance-Accident est à limiter à 80% de ses prestations.

2. Par application de l'article 20, alinéa 5 de la loi modifiée du 3 septembre 1956, portant création de la Caisse de Pension Agricole, ladite Caisse entend exercer un recours sur la pension de veuve capitalisée à laquelle a droit F..

Celle-ci s'y oppose au motif que la caisse a déclaré elle-même que par le décès de J., la rente de vieillesse de celui-ci a été convertie en pension de veuve. Or, la pension de veuve étant inférieure à la rente de J., la caisse ne pourrait exercer de recours.

D'autre part, elle fait valoir que sans la mort accidentelle de son mari, elle aurait eu droit à une pension de veuve à la mort de celui-ci, né en 1916, elle étant née en 1925, donc étant sa cadette de 9 ans, et que, dans cette mesure, en toute hypothèse, le recours ne serait pas fondé. Le F. fait valoir que par application de l'article 234-6 du Code des Assurances Sociales, le montant de la pension de survivant et la rente de survivant cumulées ne sauraient en aucun cas dépasser le montant du salaire. Il soutient ensuite que ni l'article 118 du CAS, ni l'article 20-5 de la loi du 3 septembre 1956 ne sauraient jouer en l'occurrence, dans la mesure où la veuve, suite au décès de son mari et suite à la législation sociale existante n'a pas eu de dommage matériel en relation avec la mort de son mari.

En droit commun les rapports entre la victime et l'auteur du dommage, à savoir la détermination du préjudice et l'étendue de l'obligation de réparer incombant à l'auteur responsable, sont soumis aux seuls principes de l'article 1382 du Code Civil.

Les dispositions du Code des Assurances Sociales ont pour seul objet de déterminer dans quels cas et dans quelle mesure le droit légal à la réparation du préjudice fixé d'après le droit commun que possède la victime ayant la qualité d'assuré social, passe à l'établissement d'assurance concerné en vertu d'un mécanismeinstitué par la loi, ne peuvent avoir une influence ni sur l'assiette de ce recours, ni sur l'étendue de l'obligation de réparer de l'auteur responsable du préjudice (Cass 14 janvier 1982, précité).

Il s'ensuit que l'étendue des droits qu'F. peut faire valoir contre les différents organismes de sécurité sociale suite au décès de son mari et l'importance des recours de ces organismes sont sans influence sur la détermination de la quotité du dommage de droit commun, qui seul fixe les obligations du F.:

Celui-ci est partant sans intérêt à discuter les droits que F. peut faire valoir contre la Caisse de Pension Agricole.

Comme il vient d'être dit, lorsque le préjudice de droit commun d'une veuve consiste dans la perte du soutien pécuniaire que son mari, décédé à la suite d'un accident, lui accordait de son vivant, ce préjudice est à évaluer in concreto, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ce soutien trouvait sa source dans un salaire ou dans une rente de vieillesse ou d'invalidité du mari et sans qu'il soit permis de compenser la perte de soutien de l'épouse avec la rente de veuve qui lui est personnellement allouée après le décès du mari.

Il s'ensuit que le droit à la pension de veuve s'analyse en un droit différent de ce que constitue le droit à la pension de vieillesse et que l'obligation de la Caisse de Pension Agricole de décaisser la pension de veuve s'analyse donc parallèlement en une obligation nouvelle, par rapport à l'obligation de décaisser la pension de vieillesse.

Par voie de conséquence, la Caisse peut exercer son recours légal qu'elle tient de l'article 20-5 de la loi du 3 septembre 1956, précitée, sans qu'il soit permis de compenser la rente de vieillesse servie avant le décès avec la rente de veuve versée depuis ce décès.

3. L'Assurance-Accidents réclame le remboursement d'un montant de 24.897, francs du chef de traitement curatif et d'indemnités funéraires, et la Caisse de maladie agricole réclame le montant sensiblement égal de 24.871, francs du chef des mêmes causes. Les demandeurs font valoir qu'il s'agirait d'une seule et même dépense dont l'un des deux organismes réclamerait à tort le remboursement.

Il se dégage des pièces versées que les deux organismes ont effectué les prestations dont le remboursement est réclamé. Il ne se dégage par ailleurs d'aucun élément du dossier qu'il s'agisse deux fois de la même prestation, de sorte qu'il y a lieu d'admettre les deux recours.

REEVALUATION

Les demandeurs sollicitent la réévaluation de leurs indemnités pour dommage matériel et arrêtées par les experts au 1er juillet 1985, en fonction de l'augmentation du nombre-indice officiel depuis cette date.

Cette demande est justifiée, car l'évaluation du préjudice devant se faire à une date proche de la décision judiciaire à intervenir, les juges doivent tenir compte des variations de la valeur de la monnaie, puisque les dommages intérêts doivent permettre au créancier de la réparation de se procurer un bien équivalent à la valeur lésée (Cour 7 mai 1971 no 97/71; Cour 11 janvier 1980, no 9/80).

Les experts ont effectué leurs calculs le 15 avril 1985, date à laquelle l'indice officiel des prix à la consommation était de 450,01. Les demandeurs ne demandent cependant une réévaluation de leurs indemnités qu'à partir du 1er juillet 1985, date à laquelle cet indice s'élevait à 453, 91. L'indice en vigueur au jour de la présente décision est de 451, 65. Les trois indices étant sensiblement égaux, le tribunal estime qu'une opération de réévaluation est superflue en l'espéce.

MONTANTS A ALLOUER

Compte tenu des considérations développées ci-avant, les montants auxquels peuvent prétendre les demandeurs s'établissent comme suit: ....:

Par ces motifs,

le tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, première section, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, le Ministère Public entendu,

reçoit les demandes en la forme,

au fond, les déclare partiellement justifiées, ...

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